jouer

jouer
(jou-é)
1°   V. n. Se livrer à un amusement.
2°   Plaisanter, badiner.
3°   Se divertir à un jeu quelconque.
4°   Avoir l'habitude de jouer de l'argent.
5°   Jouer aux écus.
6°   Se servir de l'instrument nécessaire pour jouer à tel ou tel jeu.
7°   Se servir d'un instrument quelconque.
8°   Se servir d'un instrument de musique, en tirer des sons.
9°   Se mouvoir, agir d'une certaine façon, en parlant des ressorts, des machines.
10°   Avoir un mouvement libre, facile.
11°   Se déjeter, en parlant du bois.
12°   En termes de jardinage, devenir hybride, en parlant d'une plante.
13°   Jaillir, en parlant des cascades et jets d'eau.
14°   Faire explosion.
15°   Offrir différentes nuances, en parlant des couleurs.
16°   V. a. Exécuter les différentes combinaisons d'un jeu.
17°   Hasarder au jeu.
18°   Jouer quelqu'un, jouer avec quelqu'un (aux jeux de paume ou de volant).
19°   Exécuter un air, un morceau de musique.
20°   Représenter une pièce de théâtre.
21°   Jouer la comédie.
22°   Jouer un rôle.
23°   Jouer un personnage.
24°   Jouer un conte.
25°   Jouer quelqu'un, le tourner en ridicule sur le théâtre ou autrement.
26°   Avoir l'apparence de.
27°   Se jouer, se livrer à un divertissement.
28°   Se jouer d'une chose, s'en moquer.
29°   Se jouer de quelqu'un, se moquer de lui.
30°   Se jouer de son fief.
31°   Se jouer à quelqu'un, à quelque chose.
32°   Se jouer soi-même, se faire à soi-même illusion.
33°   Se jouer, être joué, en parlant d'un jeu.
34°   Être joué en parlant d'un instrument de musique, d'un morceau de musique.
35°   Être représenté, en parlant d'une pièce de théâtre.
   V. n. Se livrer à un amusement. Ne jouez pas avec ce pistolet, il est chargé. Cet enfant est allé jouer chez son petit camarade.
   Laissez donc jouer un enfant et mêlez l'instruction avec le jeu, FÉN. Éducat. filles, ch. 5.
   Fig. Envoyer jouer, ne pas écouter quelqu'un.
   Le galant donc.... vous investit Lucrèce, Qui ne manqua de faire la tigresse à l'ordinaire, et l'envoyer jouer, LAFONT. Mandr..
   Ce cheval joue avec son mors, il mâche son mors avec action.
   Plaisanter, badiner.
   Il ne faut point jouer avec ceux qui ont en main l'autorité royale, RETZ III, 2.
   Il est vrai que saint Augustin l'aime trop [Paulin de Nole], et joue et subtilise sur l'amitié d'une manière qui pourrait ne pas plaire, SÉV. 25 juin 1690.
   Non pas, marquise ; il n'y avait pas moyen de jouer là-dessus ; car il vous enveloppait dans ses soupçons, MARIV. Sec. supr. de l'amour, III, 8.
   Jouer sur le mot ou sur les mots, faire des allusions, des équivoques sur les mots.
   Ce n'est pas quelquefois qu'une muse un peu fine Sur un mot en passant ne joue et ne badine, BOILEAU Art p. II.
   Il jouait avec les mots, avec les phrases d'une façon très ingénieuse, STAËL Corinne, I, 3.
   Fig. Jouer avec sa vie, avec sa santé, ne pas ménager sa vie, sa santé.
   Jouer avec la vie, ne point la regarder comme une chose sérieuse et agir en conséquence.
   Il faut jouer avec la vie jusqu'au dernier moment, VOLT. Lett. Mme du Deffant, 15 janv. 1761.
   Se divertir à un jeu quelconque. Jouer à colin-maillard, à la main chaude, aux échecs, au trictrac, à la boule, etc. Jouer avec quelqu'un, contre quelqu'un.
   D'abord ils ont joué au volant ; Mme de Chaulnes joue comme vous, SÉV. 70.
   Nous jouions au reversis quand les lettres arrivèrent, SÉV. 253.
   Il [Mazarin] aimait naturellement le jeu ; mais il ne jouait que pour s'enrichir, et trompait tant qu'il pouvait pour gagner, HAMILT. Gramm. 5.
   Je ne vous conseille pas de jouer de moitié avec moi ; je vous ferais perdre infailliblement, DANCOURT la Désolation des joueuses, sc. 3.
   Jouer à quitte ou double, ou jouer quitte ou double, jouer une dernière partie par laquelle on sera acquitté de ce qu'on devait ou bien l'on devra une somme double.
   Fig. Jouer quitte ou double, risquer, hasarder tout, pour se tirer d'une mauvaise affaire.
   Jouer de son reste, jouer de ce qu'on a encore d'argent.
   Fig. Jouer de son reste, achever de consumer son bien.
   J'étais en train de jouer de mon reste, lorsque, par le plus grand bonheur du monde, je suis tout à coup devenu sage, LESAGE Estev. Gonzal. ch. 31.
   Jouer de son reste, signifie encore prendre un moyen extrême après lequel on n'a plus de ressource.
   Toute femme qui veut à l'honneur se vouer, Doit se défendre de jouer, Comme d'une chose funeste ; Car le jeu fort décevant Pousse une femme fort souvent à jouer de tout son reste, MOL. Éc. des f. III, 2.
   Enfin, jouer de son reste signifie user des dernières ressources, user de quelque chose qui va finir. Ce ministre qui est menacé, joue de son reste : il case ses amis.
   Je m'en vais d'Orléans jouer de mon reste, et me mêler de vous dire encore des nouvelles : vous devinerez les auteurs, SÉV. Lett. 11 sept. 1675.
   Les commis des fermes, ayant déjà entendu parler des bienfaits qu'on nous fait espérer, nous font les plus horribles avanies ; ils jouent de leur reste, VOLT. Lett. Morellet, 31 août 1755.
   Jouer à cul levé, jouer chacun à son tour, le premier perdant cédant sa place à un autre, et ainsi de suite.
   Fig. Jouer à boute-hors, supplanter.
   Jouer à qui perd gagne, jouer aux dames une sorte de partie où celui-là gagne qui fait prendre le premier toutes ses dames.
   Fig. et familièrement. Jouer à qui perd gagne, se dit lorsqu'un désavantage apparent produit un avantage réel.
   À certains jeux de cartes, faire jouer, nommer la couleur dans laquelle le coup doit être joué. C'est lui qui fait jouer.
   Jouer sans prendre, ou, simplement, jouer ; et faire jouer sans prendre, ou, simplement, faire jouer, signifie obliger l'adversaire à jouer sans écarter et sans prendre de nouvelles cartes.
   Au quadrille et au tri, jouer sans prendre, jouer sans demander le roi.
   Au jeu de la bête ombrée, jouer sans prendre, faire les levées nécessaires pour gagner sans avoir écarté.
   Jouer se dit particulièrement au jeu de la bête, pour déclarer que l'on s'engage à faire les levées nécessaires pour gagner ce qui va sur le coup, ou à faire la bête.
   Substantivement. Dans cette phrase, usitée à la bouillotte : ouvrir le jouer, proposer une somme quelconque aux autres joueurs.
   Au jeu du mail, jouer au grand coup, jouer à qui poussera le mail le plus loin.
   Ne jouer que pour l'honneur, ou, activement, ne jouer que l'honneur, jouer sans intéresser le jeu.
   Jouer serré, jouer avec prudence et en évitant soigneusement de rien hasarder ; et fig. ne donner aucune prise à l'adversaire dans une discussion, dans une affaire.
   Voyons venir, et jouons serré, BEAUMARCHAIS Mar. de Fig. III, 5.
   Jouer de malheur, jouer avec malheur, n'avoir point de chance au jeu.
   Vous jouez d'un malheur insupportable, vous perdez toujours, SÉV. 9 mars 1672.
   Fig.
   Je trouvai hier Choiseul avec son cordon, il est fort bien ; ce serait jouer de malheur de n'en pas rencontrer présentement cinq ou six tous les jours, SÉV. 503.
   On dit, dans le sens contraire, jouer de bonheur.
   Il faut convenir que nous jouons d'un grand bonheur, LA BRUY. X..
   Fig. Jouer à jeu sûr, être certain du succès des moyens qu'on emploie dans une affaire.
   Jouer au plus sûr, choisir de deux expédients celui où il y a le moins de risque.
   ....Pour jouer au plus sûr, Il faut me l'amener en un lieu plus obscur, MOL. Éc. des f. V, 2.
   Fig. Jouer au fin, au plus fin, employer l'adresse, la finesse pour venir à bout de ses desseins.
   Fig. Jouer à, se mettre en danger de.
   Ma belle-fille.... fut assez hardie pour passer une fort grande eau sur un cheval qui nagea plusieurs pas.... elle jouait à se noyer, SÉV. 29 janv. 1690.
   Il est certain qu'il a joué à nous brouiller ensemble, SÉV. 8 févr. 1690.
   Absolument. Avoir l'habitude de jouer de l'argent.
   C'est que je joue ; et, comme je suis fort heureux, je mets sur moi tout l'argent que je gagne, MOL. l'Av. I, 5.
   Elle plaint le malheur de la nature humaine Qui veut qu'en un sommeil où tout s'ensevelit Tant d'heures sans jouer se consument au lit, BOILEAU Sat. X.
   Il vaut mieux s'occuper à jouer qu'à médire, BOILEAU ib..
   ....Autour d'un tapis vert, Dans un maudit brelan ton maître joue et perd, REGNARD le Joueur, I, 2.
   Je reviens aujourd'hui de mon égarement, Et ne veux plus jouer, mon père, absolument, REGNARD ib. I, 7.
   J'aime, je bois, je joue, et ne vois en cela Rien qui puisse attirer ces réprimandes-là, REGNARD Distrait, I, 6.
   Donner à jouer, recevoir chez soi des joueurs. On ne donne plus à jouer dans cette maison.
   Il vaut mieux jouer une tragédie que de donner à jouer à des jeux de hasard ruineux, VOLT. Lett. de Bordes, sept. 1769.
   Il jouerait les pieds dans l'eau, se dit d'un joueur déterminé.
   Il s'emploie avec le nom de la monnaie qu'on met sur jeu.
   Jouer aux écus, Dict. de l'Académie.
   Jouer au dernier écu, jouer jusqu'à risquer le dernier écu qui reste dans la poche ; et fig. tout risquer.
   Nous avons entendu un de nos orateurs vous proposer, si l'Angleterre faisait à l'Espagne une guerre injuste, de franchir sur-le-champ les mers, et de jouer dans Londres même, avec ces fiers Anglais, au dernier écu, au dernier homme, MIRABEAU Collect, t. III, p. 319.
   Se servir de l'instrument nécessaire pour jouer à tel ou tel jeu. Jouer du battoir, au battoir. Jouer avec une raquette. Jouer de masse.
   Jouer des gobelets, faire des tours de passe-passe avec des gobelets ; et fig. chercher à duper ceux avec qui on traite.
   Jouer des mains, badiner avec les mains, se donner des coups l'un à l'autre avec les mains.
   Jouer des mains, se dit aussi pour se battre tout de bon.
   Ou s'il faudra jouer des mains Avec des peuples inhumains, SCARRON Virg. III.
   Populairement. Jouer des mains, filouter.
   On dit dans le même sens : jouer de la griffe.
   Une grosse troupe d'archers, qui me menèrent en prison, après avoir joué de la griffe chez moi et raflé mes meilleurs effets, LESAGE Guzm. d'Alfar. VI, 5.
Fig. Jouer d'adresse, user d'habileté, de ruse.
   Il faut jouer d'adresse, CORN. le Ment. II, 5.
   Ma foi, il n'est que de jouer d'adresse en ce monde, MOL. Mal. im. interm. I, sc. 6.
   Voilà jouer d'adresse et médire avec art, BOILEAU Sat. IX..
   On dit de même : jouer d'industrie.
   Agathe avait le bras et la main passables, et je remarquai que la friponne jouait d'industrie pour les mettre en vue le plus qu'elle pouvait, MARIVAUX Pays. parv. 5e part..
   Fig. et populairement. Jouer des jambes, courir, et surtout s'enfuir. Il se mit aussitôt à jouer des jambes.
   Jouer des mâchoires, voy. mâchoire.
   Fig. et populairement. Jouer de la poche, tirer de l'argent de sa poche pour payer.
   Jouer du pouce, faire une dépense, payer ce qui est dû.
   Jouer de la prunelle, parler des yeux, langage dont se servent deux personnes qui ne peuvent se dire ce qu'elles ont à se dire, et surtout un homme et une femme qui se font des signes d'intelligence.
   Rouge, tout interdit, jouant de la prunelle, MOL. l'Étourdi, IV, 5.
   Agathe trouva plus de dix fois le moment de jouer de la prunelle sur moi d'une manière très flatteuse, MARIV. Pays. parv. 2e part..
   Se servir d'un instrument quelconque.
   Si tu ne le dis pas, je jouerai de la dague, TH. CORN. D. Bertrand de Cigarral, IV, 2.
   À faire des noeuds, à tourner votre rouet pour tout amusement, et à jouer de l'éventail pour toute conversation, BOISSY Français à Londres, sc. 5.
   Jouer de l'espadon, jouer du bâton à deux bouts, etc. les manier avec adresse.
   Jouer du drapeau, le faire voltiger avec adresse.
   Fig. et populairement. Jouer des couteaux, se battre à l'épée.
   Taureaux, j'en suis ; je veux y jouer des couteaux, Et donner au public, sans crainte de leurs cornes, Échantillon sanglant de ma valeur sans bornes, SCARR. D. Japhet d'Arm. III, 4.
   Se servir d'un instrument de musique, en tirer des sons. Jouer du violon, de la harpe, de la flûte, du hautbois, etc.
   Écrire par jeu, par oisiveté, et comme Tityre siffle ou joue de la flûte, LA BRUY. XII.
   Aujourd'hui, jouer se dit de toute espèce d'instruments ; autrefois il y avait un verbe particulier pour chaque instrument, on disait : toucher du piano ou de l'orgue, pincer de la harpe ou de la guitare, donner du cor, sonner de la trompette, etc.
   Se mouvoir, agir d'une certaine façon, en parlant des ressorts, des machines. Ce ressort joue en sens inverse de l'autre. Les pièces de cette machine jouent mal entre elles.
   Fig. Faire jouer toutes sortes de ressorts, employer tout son pouvoir, tous les moyens dont on peut disposer.
   Les ressorts secrets qu'il fallut faire jouer, pour amasser de quoi fournir à cette dépense, étaient plus humiliants que l'ambassade n'était pompeuse, VOLT. Charles XII, 7.
   On dit dans un sens analogue : faire jouer l'intrigue, les intrigues.
   Votre Majesté, qui a eu la bonté de me marquer la satisfaction de ma nouvelle et très mince dignité de secrétaire de l'Académie française, ne peut pas s'imaginer toutes les intrigues qu'on a fait jouer pour m'en écarter, D'ALEMBERT Lett. au roi de Prusse, 22 août 1772.
   Faire jouer les intérêts, les passions, les mettre en jeu.
   L'homme injuste, qui met tout en oeuvre, qui entre dans tous les desseins, qui fait jouer les passions et les intérêts, ces deux grands ressorts de la vie humaine, BOSSUET Sermons, Justice, 1.
10°   Avoir un mouvement libre, facile. Cette serrure ne joue pas.
   L'illusion si favorable au Panthéon vient, à ce qu'on assure, de ce qu'il y a plus d'espace entre les colonnes, et que l'air joue librement autour, STAËL Corinne, IV, 2.
   Terme de marine. Le vaisseau joue sur son ancre, quand il est agité par le vent et en même temps retenu par son ancre. Le gouvernail joue quand il est en mouvement. Le vent est dit jouer lorsqu'il varie souvent et rapidement. Une pièce joue quand elle est mal consolidée.
11°   En termes de charpente, de menuiserie et d'ébénisterie, le bois joue quand, par suite de dilatations ou de contractions, un assemblage se dérange.
12°   En termes de jardinage, on dit qu'une plante joue quand, grâce au vent ou aux insectes, les fleurs en sont fécondées par le pollen d'autres variétés, ce qui la rend hybride et lui ôte son caractère de pureté. Ces pensées ont joué. Avec tant de variétés à côté les unes des autres, vos potirons joueront.
13°   Jouer, en parlant des cascades, des jets d'eau, etc. qu'on fait jaillir.
   Le roi ordonna à d'Antin de lui faire voir [à l'électeur de Bavière] les jardins de Marly, et d'y faire jouer les eaux, SAINT-SIMON 362, 31.
   Autrefois, jouer se disait activement en ce sens. On joua les eaux.
   Lancer de l'eau. Faire jouer les pompes. Les pompes jouent.
14°   Faire explosion. La mine, le fourneau joua. Quand le canon eut joué. Faire jouer une mine.
   Des matelots, dans une de leurs réjouissances, s'approchèrent dans des barques sous le môle, dont l'artillerie devait les foudroyer ; elle ne joua point, VOLT. Louis XIV, 20.
   Fig.
   On fait sa brigue pour parvenir à un grand poste.... l'amorce est déjà conduite, et la mine prête à jouer, LA BRUY. VIII.
15°   Jouer se dit des couleurs qui ont différentes nuances.
   Cet oiseau [le mainate] n'est guère plus gros qu'un merle ordinaire, son plumage est noir partout, mais d'un noir plus lustré sur la partie supérieure du corps, sur la gorge, les ailes, la queue, et dont les reflets jouent entre le vert et le violet, BUFF. Ois. t. VI, p. 126.
16°   V. a. Exécuter les différentes combinaisons d'un jeu, d'une partie, d'un coup. Jouer tous les jeux. Jouer une partie de piquet. Jouer un coup habilement.
   À la paume, jouer une balle, pousser une balle.
   Aux échecs, jouer une pièce, la mettre à une autre case ; aux dames, jouer une dame, la pousser d'une case à une autre.
   Jouer une carte, jeter une carte. Jouer coeur, jouer carreau, etc. jouer une carte de ces couleurs.
   En ce sens, il s'emploie neutralement aussi. Jouer en carreau, en coeur, en pique.
   Au piquet, jouer bien les cartes, tirer tout le parti possible de ses cartes. Il écarte bien, mais il joue mal les cartes.
   Au jeu de trictrac. Jouer son coup, avancer deux dames du nombre des points donnés par chaque dé, ou une seule dame de la somme de ces points.
   Jouer le jeu, jouer suivant les règles du jeu. Vous ne jouez pas le jeu.
   Fig. Jouer bien son jeu, se comporter adroitement en quelque affaire, savoir bien dissimuler pour arriver à ses fins. Il a bien joué son jeu.
   Jouer un jeu, le savoir bien jouer, le jouer par préférence, être dans l'usage, dans l'habitude de le jouer.
   Quel jeu jouez-vous ? est-ce le whist ? Ne faut-il ni prévoyance, ni finesse, ni habileté, pour jouer l'hombre ou les échecs ?, LA BRUY. XII.
17°   Hasarder au jeu. Il joua et perdit cent écus dans cette soirée.
   Tel homme passe sa vie sans ennui, en jouant tous les jours peu de chose ; donnez lui tous les matins l'argent qu'il peut gagner chaque jour, à la charge qu'il ne joue point : vous le rendrez malheureux, PASCAL Pens. IV, 2, édit. HAVET..
   Il me prit envie de la jouer [une jolie lanterne] pour vingt pistoles, si je trouve des femmes assez folles pour cela, SÉV. 15 mai 1671.
   Si deux hommes s'avisaient de jouer tout leur bien, quel serait l'effet de leur convention ? l'un ne ferait que doubler sa fortune, et l'autre réduirait la sienne à zéro ; et quelle proportion y a-t-il ici entre la perte et le gain ?, BUFF. Arithm. mor..
   Familièrement. Il jouerait jusqu'à sa chemise, c'est un joueur effréné.
   Jouer gros jeu, voy. jeu.
   On dit dans le même sens : jouer grand jeu.
   Je ne permets à personne d'être fripon, mais je permets à un fripon de jouer un grand jeu : je le défends à un honnête homme, LA BRUY. VI.
   Au jeu de la bouillotte, jouer le tapis, jouer la passe quand il ne reste plus de prises.
   Fig. Jouer sa vie, s'exposer témérairement.
18°   Jouer quelqu'un, jouer avec quelqu'un (uniquement en parlant des jeux de paume et de volant). Je l'ai joué du battoir. Il me gagne toujours, quoiqu'il me joue par-dessous la jambe, par-dessous jambe.
   Fig. et familièrement. Jouer quelqu'un par-dessous jambe, par-dessous la jambe, avoir facilement le dessus.
   Je les aurais joués tous deux par-dessous la jambe, MOL. Scapin, I, 2.
   Fig. Jouer quelqu'un, le tromper, l'abuser.
   Il voit quand on le joue et quand on dissimule, CORN. Poly. V, 1.
   Mettez, pour me jouer, vos flûtes mieux d'accord, MOL. l'Ét. I, 4.
   Qu'à son gré désormais la fortune me joue ; On me verra dormir au branle de sa roue, BOILEAU Épître V.
   Tel vous semble applaudir qui vous raille et vous joue, BOILEAU Art p. I.
   Mais d'un soin si cruel la fortune me joue...., RAC. Bérén. V, 2.
   Les députés reconnurent qu'Alcibiade les avait joués, ROLLIN Hist. anc. Oeuvr. t. IV, p. 19, dans POUGENS.
   Jouer les deux, tromper deux personnes ou deux partis qui ont des intérêts opposés, en faisant semblant de les servir l'un contre l'autre.
   Rendre vain, inutile, en parlant des choses.
   Ici vous avez joué mes accusations, ébloui vos parents, et plâtré vos malversations, MOL. G. Dand. III, 8.
19°   Exécuter un air, un morceau de musique sur un instrument, avec des instruments. Jouer une ouverture à grand orchestre. Jouer une contredanse. Jouer un air sur le violon, sur le piano, etc.
   Avant que de chanter, il faut que je prélude un peu, et joue quelque pièce, afin de mieux prendre mon ton, MOL. Mal. im. 1er interm. sc. 4.
   Absolument. Ce violoniste joue bien.
20°   Représenter une pièce de théâtre. Jouer une tragédie, une comédie, un drame, un opéra. On a joué Andromaque de Racine. On jouera le Tartuffe de Molière.
   Vous jouez une pièce nouvelle aujourd'hui, MOL. Impromptu, 2.
   On a joué à Londres une traduction de Tancrède avec un très grand succès ; la pièce m'a paru fort bien écrite, VOLT. Lett. d'Argental, 8 juill. 1772.
   Fig.
   On se voit soi-même dans ceux qui nous paraissent comme transportés par de semblables objets ; on devient bientôt un acteur secret dans la tragédie, on y joue sa propre passion, BOSSUET Comédie, 4.
Absolument. Ce comédien joue fort bien.
   Nous ne savons pas nos rôles ; et c'est nous faire enrager vous-même, que de nous obliger à jouer de la sorte, MOL. l'Impromptu, 1.
   Jouez-vous tous deux aujourd'hui ?, MOL. ib. 2.
   Fig. Jouer une pièce, un tour, un parti à quelqu'un, lui faire un tour ou malin ou méchant.
   L'infâme et lâche tour qu'un prince m'a joué, CORN. Nicom. III, 8.
   Même on lui dit qu'il jouera, s'il est sage, à ces gens-là quelque méchant parti, LA FONT. Fabl. VIII, 18.
   Et tu m'oses jouer de ces diables de tours ?, MOL. Sgan. 6.
   Sans lui, tu te serais mal trouvé de m'avoir joué cette pièce, BRUEYS Muet, V, 10.
   En ce sens, on emploie aussi neutralement jouer. Jouer d'un tour à quelqu'un, lui en jouer d'une, lui en jouer d'une bonne, faire subir à quelqu'un quelque mécompte, quelque mortification.
   Mais assemblons tous les rats d'alentour ; Je lui pourrai jouer d'un mauvais tour [au chat], LA FONT. Fabl. XII, 25.
   On veut à mon honneur jouer d'un mauvais tour, MOL. Éc. des femmes, V, 4.
   Ce bon apôtre Qui m'en veut donner d'une et m'en jouer d'une autre, MOL. l'Ét. IV, 7.
   Que mon maître couvert de gloire Me joue ici d'un vilain tour !, MOL. Amph. I, 1.
   La fortune m'a bien joué d'un autre tour, REGNARD Démocr. III, 2.
   En voici bien d'une autre, monseigneur, le tripot m'a joué d'un mauvais tour, VOLT. Lett. Richelieu, 1er fév. 1773.
   Leurs excellences européennes veulent, dit-on, se couper la gorge ; l'Anglais défie l'Allemand ; celui-ci plus rusé lui joue d'un tour de diplomate, P. L. COUR. 2e lett. particulière..
   Fig. Jouer un vilain tour, avec un nom de chose pour sujet, être funeste. Cela pourrait vous jouer un vilain tour.
21°   Jouer la comédie, exercer la profession de comédien.
   Absolument. Cet acteur a cessé de jouer.
   Par extension. Jouer la comédie, faire des actions plaisantes pour exciter à rire.
   Est-ce que nous jouons ici une comédie ? - Non, Monsieur, nous ne jouons pas, MOL. Pourc. I, 11.
   Fig. Jouer la comédie, feindre des sentiments qu'on n'a pas, chercher à paraître ce qu'on n'est pas réellement. Vous le croyez affligé, il joue la comédie.
   Fig. Jouer la douleur, jouer l'homme d'importance, feindre d'être affligé, d'être un homme d'importance.
   Vous ai-je dit comme elle a joué l'affligée ?, SÉV. 435.
   Vous ne comprendrez combien ce que vous nous avez dit de La Plessis est plaisant, que quand vous saurez qu'il y a un mois qu'elle joue la fièvre quarte, SÉV. 243.
   Ce n'est presque plus le bon air que de jouer certaines frayeurs ; aussi bientôt on ne songera plus à avoir peur des chats, MONTCRIF dans DESFONTAINES.
   Elle [la politesse exquise] a fait naître à certaines gens l'idée de jouer la grossièreté et la brusquerie pour imiter la franchise, et couvrir leurs desseins, DUCLOS Consid. moeurs, ch. III.
   Mme de la Ferté-Imbaut, qui joue la dévotion, mais qui ne joue pas la sottise, D'ALEMBERT Lett. à Voltaire, 15 oct. 1776.
   S'il n'était que vicieux, je n'en désespérerais pas ; mais s'il joue les moeurs et la vertu !, DIDER. Père de famille, I, 5.
   Comment donc ? vous jouez la passion au mieux, BOISSY Sage étourdi, II, 5.
22°   Jouer un rôle, le représenter. Un tel a joué le rôle d'Oreste.
   Vous voilà tous bien malades d'avoir un méchant rôle à jouer !, MOL. l'Impromptu, 1.
   Fig. Jouer un rôle, figurer dans quelque affaire. Il a joué un rôle dans cette misérable intrigue. Tous ceux qui jouèrent un rôle dans cette grande révolution. Il joua un grand rôle dans ces événements.
   Jouer un grand rôle, occuper une grande place dans l'État.
   Absolument. Jouer un rôle, avoir une influence notable dans les affaires, à la cour, etc.
   On fut assuré que Mlle de Hautefort ne jouerait jamais un rôle, et que l'empire de Mlle de Lafayette était solidement établi, GENLIS Mlle de Lafayette, p. 266, dans POUGENS.
   Jouer un rôle, se dit quelquefois de choses personnifiées. Le rôle que joue la chimie dans les progrès de l'industrie.
   Jouer le rôle de, agir comme. En ceci il joua le rôle de compère.
23°   Jouer un personnage, le représenter. Jouer les pères nobles, les ingénues. Un tel a joué Oreste.
   Fig.
   L'orgueil, comme lassé de ses artifices et de ses différentes métamorphoses, après avoir joué tout seul tous les personnages de la comédie humaine, se montre avec un visage naturel et se découvre par sa fierté, LA ROCHEFOUC. Prem. pens. 11.
   Vous êtes sur le théâtre, vous jouez un grand personnage, MAINTENON Lett. au maréchal de Tessé, 10 févr. 1706.
   Fig. Jouer un mauvais personnage, un sot personnage, se comporter mal, se comporter sottement.
   Enfin, quoi qu'il en soit, témoigner de l'ombrage, C'est jouer en amour un mauvais personnage, MOL. le Dép. I, 2.
   Jouer un petit personnage, être dans un poste peu honorable, ou avoir peu d'influence, peu d'action.
   Que vous jouez au monde un petit personnage !, MOL. Femm. sav. I, 1.
24°   Jouer un conte, jouer un récit, accompagner un conte, un récit d'une sorte de mise en scène, d'une pantomime expressive.
   Coulanges nous joua cela si follement et si plaisamment, qu'autant que cette scène est plate sur le papier, elle était jolie à la voir représenter, SÉV. 504.
   Sa gaieté, des saillies piquantes, le talent de conter et même de jouer des contes, de la malice dans le ton avec de la bonté dans le caractère, CONDORCET d'Alembert..
25°   Jouer quelqu'un, le tourner en ridicule sur le théâtre, ou autrement.
   Cela est bon pour toi ; mais pour moi, je ne veux pas être joué par Molière, MOL. Impromptu, 3.
   Je pense pourtant, marquis, que c'est toi qu'il joue dans la Critique, MOL. ib. 3.
   Je le trouve bien plaisant d'aller jouer d'honnêtes gens comme les médecins, MOL. Mal. im. III, 3.
   Après avoir joué tant d'auteurs différents, BOILEAU Épitre I.
   Aristophane t'a joué [Socrate] sur le théâtre, tu as passé pour un impie, et on t'a fait mourir, FÉN. Dial. des morts anc. 15.
   Cette petite pièce [l'Amour médecin] est d'un meilleur comique que le Mariage forcé ; elle fut accompagnée d'un prologue en musique, qui est l'une des premières compositions de Lulli ; c'est le premier ouvrage dans lequel Molière ait joué les médecins, VOLT. Vie de Molière..
   Jouer quelqu'un, le tromper.
   Être franc et sincère est mon premier talent ; Je ne sais pas jouer les hommes en parlant, MOL. Mis. III, 7.
   Jouer une chose, s'en moquer.
   Il y a beaucoup de choses qui méritent d'être moquées et jouées, de peur de leur donner du poids en les combattant sérieusement, PASC. Prov. XI.
26°   En parlant d'une chose, imiter une autre chose, en avoir l'apparence. Cette étoffe joue la soie.
27°   Se jouer, v. réfl. Se livrer à un divertissement (ici se jouer est un verbe neutre à forme réfléchie, comme s'enfuir, s'écrier, se taire).
   Si on lui baillait des poupées pour se jouer, il ne s'en offenserait pas, BALZ. 7e disc. de la cour..
   Ces deux rivaux un jour ensemble se jouants, Comme il arrive aux jeunes gens, LA FONT. Fabl. X, 12.
   Que veut dire ceci ? nous nous jouons, je crois, MOL. Mélic. I, 2.
   On n'est point capable de se jouer longtemps, lorsqu'on a dans l'esprit une passion aussi sérieuse que celle que je sens pour vous, MOL. Comt. d'Esc. 1.
   Voyez comme ces petites filles se jouent rudement, SÉV. 70.
   Plus il cherche à se jouer innocemment, plus il se trouble et s'amollit, FÉN. Tél. VII.
   On voyait même, dans les pâturages, les loups se jouer au milieu des moutons, FÉN. Tél. XVII.
   Ce Dieu, c'est celui qui mesure les eaux de la mer dans le creux de sa main ; qui tient entre ses mains les foudres et les tempêtes ; qui dit, et tout est fait ; qui se joue en soutenant l'univers, MASS. Avent. Circ..
   Ils font en se jouant et la paix et la guerre, VOLT. Triumv. I, 1.
   Faire quelque chose en se jouant, faire quelque chose en s'amusant, sans effort.
   Dans le style élevé, se jouer se dit de choses auxquelles on attribue une sorte de dessein de se divertir.
   Les divers canaux qui formaient ces îles semblaient se jouer dans les campagnes, FÉN. Tél. I.
   Un zéphyr léger se joue dans nos voiles, FÉN. ib. IV.
   Ce n'est point saisir la touche de la nature que de la considérer ainsi ; les coups de pinceau dont elle se joue à la superficie fugitive des êtres, ne sont point le trait de burin fort et profond dont elle grave à l'intérieur le caractère de l'espèce, BUFF. Ois. t. IX, p. 352.
   Se jouer de quelque chose, faire sans peine ce qui pour d'autres semble difficile. Il se joue de toutes les difficultés.
   Il y a certaines familles qui, par les lois du monde, doivent être irréconciliables ; les voilà réunies ; et où la religion a échoué quand elle a voulu l'entreprendre, l'intérêt s'en joue et le fait sans peine, LA BRUY. VIII.
   Un Créqui, plus grand le jour de sa défaite que dans les jours de ses triomphes ; un Luxembourg qui semblait se jouer de la victoire, MASS. Or. fun. Louis XIV.
28°   Se jouer d'une chose, s'en moquer, ne pas la traiter sérieusement, la traiter d'une manière dérisoire.
   Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux.... Que ces francs charlatans, que ces dévots de place De qui la sacrilége et trompeuse grimace Abuse impunément et se joue à leur gré De ce qu'ont les mortels de plus saint et sacré, MOL. Tart. I, 6.
   Mes pères, c'est se jouer des paroles, PASC. Prov. I.
   L'autre jour, Madame et Mme de Monaco prirent d'Hacqueville, pour s'en aller courir les rues incognito.... comme Madame n'est point sur le pied d'être galante, elle se joue parfaitement bien de sa dignité, SÉV. 19 juill. 1675.
   Avec quelle insolence et quelle cruauté Ils se jouaient tous deux de ma crédulité !, RAC. Baj. IV, 5.
   Les dieux, qui se jouent des desseins des hommes, nous réservaient à d'autres dangers, FÉN. Tél. I.
   Souffrirez-vous, Neptune, disait-elle, que ces impies se jouent de ma puissance ?, FÉN. ib. VI.
   Peu de traités font mieux voir combien la religion sert de prétexte aux politiques, comme on s'en joue, et comme on la sacrifie dans le besoin, VOLT. Ann. Emp. Ferdinand II, 1635.
   Disposer de quelque chose arbitrairement et selon le caprice.
   Vous vous jouiez de la vie des hommes ; vous n'aimiez personne ; qui vouliez-vous qui vous aimât ?, FÉN. Dial. des morts mod. Louis XI, la Balue..
   Dans le style élevé et poétique, il se dit des choses qui semblent se moquer.
   La mort nous les ravit [les biens terrestres], la fortune s'en joue, CORN. Poly. IV, 3.
   Allez dans les hôpitaux.... là vous verrez en combien de sortes la maladie se joue de nos corps, BOSSUET Sermons, Résurr. dern. 2.
   Semblable à un rocher escarpé qui cache son front dans les nues et qui se joue de la rage des vents, FÉN. Tél. VII.
   Elle sentait toujours je ne sais quoi qui repoussait tous ses efforts et se jouait de ses charmes, FÉN. ib. VII.
   Je ne peux répondre que de mes sentiments ; la destinée se joue de tout le reste, VOLT. Lett. Mme Du Deffant, 20 juillet 1751.
   Dans le stérile espoir d'une gloire incertaine, L'homme livre, en passant, au courant qui l'entraîne Un nom de jour en jour dans sa course affaibli ; De ce brillant débris le flot du temps se joue ; De siècle en siècle il flotte, il avance, il échoue Dans les abîmes de l'oubli, LAMART. Méd. II, 5.
29°   Se jouer de quelqu'un, se moquer de lui. Ne voyez-vous pas qu'on se joue de nous ?
   Se jouer de quelqu'un, en faire un jouet.
   Ils s'étaient flattés de n'avoir à faire qu'à un roi jeune et sans expérience, et avaient espéré de s'en jouer comme d'un enfant, ROLLIN Hist. anc. Oeuvr. t. VIII, p. 95, dans POUGENS.
   On dit dans un sens analogue : Le chat se joue de la souris qu'il a prise, il feint de la laisser échapper pour la ressaisir aussitôt.
   Le jeune prince alors se jouerait de ma muse Comme le chat de la souris, LA FONT. Fabl. XII, 5.
   Se jouer de quelqu'un, le décevoir, tromper ses desseins, son attente.
   Ô dieux ! est-ce ainsi que vous vous jouez des hommes ?, FÉN. Tél. IX..
   Se jouer de quelqu'un, le tromper en lui donnant de belles paroles. Il m'a longtemps donné des espérances, il se jouait de moi.
30°   Terme de féodalité. Se jouer de son fief, pouvoir le démembrer, et même en vendre une partie, sans qu'il fût rien dû au suzerain, pourvu qu'on retînt la foi entière et quelque droit seigneurial et domanial sur la partie aliénée.
31°   Fig. Se jouer à quelqu'un, l'attaquer inconsidérément.
   Ces canailles-là s'osent jouer à moi, MOL. Préc. sc. 8.
   Ce pauvre hère, voyant qu'il ne fallait pas se jouer à une ogresse...., PERRAULT Contes, 46.
   Mon père lui montra bien qu'il se jouait à plus fort que lui, FÉN. t. XIX, p. 250.
   Si la considération que j'ai pour la compagnie ne me retenait pas, je vous apprendrais à vous jouer à un homme de ma qualité, LE SAGE Estev. Gonzal. ch. 32.
   Il ne faut pas se jouer à son maître, il ne faut pas attaquer ou choquer un plus puissant que soi.
   On dit dans le même sens : se jouer à quelque chose.
   Il ne faut pas se jouer à ce remède [la douche], SÉV. 21 sept. 1677.
   Il ne se jouera plus à être malade, SÉV. 342.
   Ne vous jouez pas à cela, ne vous y jouez pas, ne soyez pas assez fou, assez téméraire pour faire cela, vous vous en repentiriez.
   Pour vous écrire [au comte de Grignan], je suis votre très humble servante, je ne m'y joue pas, SÉV. 23 avr. 1690.
   On dit par forme de menace : jouez-vous-y, qu'il s'y joue.
   Jouez-vous-y, je vous en prie ; vous trouverez à qui parler, MOL. G. Dandin, I, 6.
   Qu'il s'y joue, il verra, DESTOUCHES Phil. mar. V, 8.
32°   Se jouer soi-même, se faire à soi même illusion, se tromper soi-même (ici se jouer n'est plus un verbe neutre, mais est un verbe actif à forme réfléchie).
   Cette pitié qui causait des larmes [au théâtre], cette colère qui enflammait et les yeux et le visage.... n'étaient que des simulacres.... tant il est aisé de nous imposer, tant nous aimons à nous jouer nous-mêmes !, BOSSUET 2e sermon, Parole de Dieu, 3.
33°   Se jouer, être joué, en parlant d'un jeu. Le whist se joue à quatre.
   Fig.
   Examinons donc ce point, et disons : Dieu est ou n'est pas ; mais de quel côté pencherons-nous ? la raison n'y peut rien déterminer ; il y a un chaos infini qui nous sépare ; il se joue un jeu, à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile, PASC. Pensées, X, 1, édit. HAVET..
34°   Se jouer, être joué, en parlant d'un instrument de musique, d'un morceau de musique. Ceci se joue à quatre mains. Cet instrument se joue avec la bouche, avec les doigts.
35°   Se jouer, être représenté, en parlant d'une pièce de théâtre. Le Tartuffe se joue ce soir aux Français.
PROVERBE Qui a joué jouera, c'est-à-dire on ne quitte pas ses vieilles habitudes.
   Quiconque aime, aimera, Et quiconque a joué, toujours joue et jouera : Certain docteur l'a dit, REGNARD le Joueur, IV, 1.
   XIe s.
   En Rencesvals [j'] irai mon cors [ma personne] juer, Ch. de Rol. LXX.
   As eschez juent pour els esbaneier [se divertir], ib. VIII.
   XIIe s.
   N'i a paien qui en joue n'en rie [il n'y a pas payen qui s'en joue et en rie], Ronc. 25.
   XIIIe s.
   Qui aloient jouant sur l'erbe qui verdie, Berte, II.
   Veïr me porrez chescun jor, Ensemble od mei rire et juer, Lai del desiré.
   Amors n'a cure d'omme morne ; C'est maladie moult courtoise, L'en en rit, et jeue et envoise, la Rose, 2190.
   Ce doit moult Venus escuser, Quant voloit de franchise user, Et toutes dames qui se jeuent, Combien que mariage vuent [vouent, font voeu], ib. 14235.
   Et il respondirent que il leur sembloit que nous n'avions talent d'estre delivrez, et que il s'en iroient et nous enverroient ceulz qui joueroient à nous des espées, aussi comme il avoient fait aus autres, JOINV. 242.
   Lors est perduz joers et rires, RUTEB. 21.
   Bien le poez laissier ester, Fet soi Renart, ge me jooie, Ren. 21269.
   Espreviers doit estre esleuz de tel maniere que il ait petite teste et les oils [yeux] forniz, et joans et tornans legier sor la main, BRUN. LATINI Trésor, p. 201.
   XIVe s.
   Car qui n'est eüreux en fait ou en parler, Jamais jour à nul gieu ne deveroit jouer, Guesclin. V. 18320.
   Ceulx qui carolent et dancent ou chantent ensemble, ou qui joient ensemble des instrumens de musique, ORESME Eth. 245.
   Thomas Brisoul, par son mauvais engin et faulx decevement, avoit fortraitte Alisette femme de Pierre Picart d'avecques son dit mari et menée jouer hors du païs, DU CANGE jocare..
   XVe s.
   Vous mettez le royaume en votre volenté, et jouez du roi à votre entente, FROISS. II, II, 45.
   Avint que, une fois, ainsi que enfants jeuent et s'esbattent en leurs lits, ils s'entrechangerent leurs cottes, FROISS. II, III, 13.
   Quand le senechal de Hainaut et les autres virent venir celle grosse route [bande]...., ils jouerent de la retraite, et là seurent chevaux qu'esperons valoient, FROISS. II, II, 66.
   Si que je dy que fortune luy joua moult bien de son jeu, ainsi qu'à mains en ce jour, et jouera encore, FROISS. livre IV, dans LACURNE.
   Adonc luy dit un Breton qui moult savoit bien jouer de l'arbaleste : voulez-vous que je vous rende mort ce portier et du premier coup ?, FROISS. livre II, p. 5.
   L'en doit tousjours jouer au moins perdre, LEROUX DE LINCY Prov. t. II, p. 326.
   Le due est un prince de hault courage et se fait mauvais juer à luy, CHASTEL. Chr. des ducs de Bourg. II, 25.
   Mort de moy ! vous y jouez-vous ? Mon cueur, vous faictes grant folye, CH. D'ORLÉANS Rondeau..
   XVIe s.
   Et, sans eux arrester, jouerent des talons jusques à Lyon, Lett. de Louis XII, t. IV, p. 161, dans LACURNE.
   Le jeu de la constance se joue principalement à porter...., MONT. I, 48.
   Jouer le dernier acte de sa comedie [mourir], MONT. I, 67.
   N'as tu pas veu tuer un de nos roys en se jouant [Henri II] ?, MONT. I, 74.
   Ceulx qui disent.... se jouent des paroles [jouent sur les mots], MONT. I, 223.
   Il semble à poinct nommé que la fortune se joue à nous, MONT. I, 253.
   Il joua contre luy un soupper, MONT. I, 272.
   Les Gaulois empeschoient que la balance ne jouast librement, AMYOT Cam. 49.
   Le Candiot luy joua un tour de ruze candiote, AMYOT P. Aem. 42.
   J'ay despit de le voir se jouer ainsi en seureté, et passer son temps parmy nous, AMYOT Timol. 22.
   Il plaça son artillerie jusques à la faire jouer dans le coeur de l'armée espagnolle, D'AUB. Hist. I, 26.
   Ils gagnerent le fond des fossez par mines, qu'ils rendirent jusques dessous le rempart, puis les firent jouer, D'AUB. ib. I, 27.
   Quant aux munitions de guerre, La Rochelle en aida, mais chichement ; en partie pour ce qu'il couroit un bruit que le comte de Montgommeri en avoit joué, D'AUB. ib. II, 295.
   Fuyr quand il fault jouer des coulteaux, RAB. Garg. I, 39.
   Il apprint fort bien à dancer, et à jouer de l'espée à deux mains, RAB. Pant. II, 5.
   Le vassal peut demembrer son fief sans s'en dessaisir, ou la main mettre au baston ; qui est ce que l'on dit : se jouer de son fief sans demission de foi, LOYSEL 641.
   T'avoir cinq ans fait de moy sacrifice, N'avoir de toy le dernier benefice, C'est trop jouer à l'amoureux transi, PASQUIER Oeuvres meslées, p. 385, dans LACURNE.
   Jouer à la fausse compagnie [s'en aller, s'esquiver], OUDIN Dict..
   Porter l'espée sur la cuisse, et n'en savoir pas jouer, H. EST. Apol. pour Hérod. p. 510, dans LACURNE.
   En jouant on perd argent et temps, LEROUX DE LINCY Prov. t. II, p. 86.
   Quant le vent qui s'y joue [dans une chevelure], DESPORTES Angélique, I.
   Un roy seul demeure : Les sots sont chassez ; Fortune à cette heure Joue aux pots cassez, Sat. Mén. éd. LABITTE, p. 29.
   Wallon, jower ; bourg. jué ; provenç. jogar ; espagn. jugar ; ital. giuocare ; du lat. jocari, jouer. jocus, jeu.
SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
JOUER. Ajoutez :
36°   S. m. Le bien jouer, l'action de bien jouer.
   Le bien jouer à la paume ne consiste pas en l'esprit, MALH. Lexique, éd. L. Lalanne..

Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. . 1872-1877.

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