saigner

saigner
(sè-gné) v. n.
   Rendre du sang, en parlant soit de la personne ou de l'animal qui perd du sang, soit de la partie dont il s'écoule. Laisser saigner une plaie. Le nez lui saigne. Son doigt saigne.
   À peine sortions-nous pleins de trouble et d'horreur, Qu'Attila recommence à saigner de fureur, CORN. Attila, V, 6.
   Ce pauvre doyen, pénétré de douleur, le coeur saisi, disant la messe pour ce frère que voilà dans l'église, tout vif encore, mais tout mort dans ce cercueil, qui saigne de tous côtés ; ha, mon Dieu ! quelle idée ! le sang coule-t-il d'un corps mort ? oui, puisque vous le dites, SÉV. 4 janv. 1690.
   Fig.
   Le coup dont on les tue [les princes] est longtemps à saigner, CORN. Cinna, III, 4.
   Saigner comme un boeuf, rendre beaucoup de sang par la partie qui a été blessée, coupée.
   Fig. Elle saigne encore, se dit d'une pièce d'or récemment rognée.
   Saigner du nez, avoir du sang qui coule du nez.
   Une autre fois, saignant du nez, il croyait que son âme allait sortir dans son mouchoir, FÉN. Dial. des morts anc. dial. 1.
   S'il tombe, s'il saigne du nez, J. J. ROUSS. Ém. II.
   Fig. Saigner du nez, manquer de courage dans l'occasion.
   Quand quelqu'un a l'âme poltronne, à tout bruit il tremble et s'étonne, à tout coup il saigne du nez, SCARR. Virg. IV.
   Le porter [l'éléphant de pierre], d'une haleine, au sommet de ce mont Qui menace les cieux de son superbe front ; L'un des deux chevaliers saigna du nez...., LA FONT. Fabl. X, 14.
   Ce G***, homme insolent et lâche, saigna du nez, et, pour se venger, accusa mon père d'avoir mis l'épée à la main dans la ville, J. J. ROUSS. Conf. I.
   On dit dans le même sens : le nez lui saigne.
   Je crois que le nez a saigné au prince d'Orange, et il n'est tantôt plus fait mention de lui, RAC. Lett. 17, à Boileau..
   Saigner du nez, manquer à une promesse donnée. Il avait promis de me vendre sa maison, maintenant il saigne du nez.
   En artillerie, saigner du nez, se dit d'une pièce dont la bouche s'abaisse dans le tir, par suite du poids insuffisant de la culasse.
   Fig. Ressentir un mal comparé à une plaie saignante.
   Est-ce ainsi que la mort amère vient rompre de si doux liens ? le coeur saigne ; dans la douleur de la plaie, on sent combien ces richesses y tenaient, BOSSUET le Tellier..
   Par mon époux lui-même à Trézène amenée, J'ai revu l'ennemi que j'avais éloigné ; Ma blessure trop vive aussitôt a saigné, RAC. Phèdre, I, 3.
   Non seulement l'Allemagne, mais tous les États chrétiens saignaient encore des plaies qu'ils avaient reçues de tant de guerres de religion, VOLT. Louis XIV, 11.
   Le coeur doit saigner par degrés dans la tragédie, et toujours des mêmes coups redoublés et surtout variés, VOLT. Comm. Corn. Rem. Hor. IV, 5.
   Aucune loi ne peut, sans que l'équité saigne, Faire expier à tous ce qu'a commis un seul, V. HUGO Voix, 2.
   C'est une plaie qui saigne encore, c'est une offense, un malheur dont le souvenir est encore vif.
   Le coeur me saigne, le coeur lui saigne, cela me blesse, m'afflige, le blesse, l'afflige profondément.
   Possible que, malgré la cure qu'elle essaie, Mon âme saignera longtemps de cette plaie, MOL. Dép. am. IV, 3.
   Crois qu'il m'en a coûté, pour vaincre tant d'amour, Des combats dont mon coeur saignera plus d'un jour, RAC. Bérén. II, 2.
   Le coeur me saigne de voir manger votre bien par mille gens qui croient encore vous faire trop d'honneur, DANCOURT Mais. de campagne, sc. 9.
   Est-il possible que la plus grande consolation de la vie, celle d'envoyer des contes par la poste, soit interdite aux pauvres humains ? cela fait saigner le coeur, VOLT. Lett. d'Argental, 18 janv. 1764.
   Je raillais les Français de leurs défaites, tandis que le coeur m'en saignait plus qu'à eux, J. J. ROUSS. Conf. V.
   V. a. Tirer du sang en ouvrant une veine.
   Notre bon M. Baralis a été saigné onze fois depuis six jours, cela a empêché la suffocation... une fièvre continue, quatre-vingts ans sont tous signes qui m'en laissent un soupçon fort funeste, GUI PATIN Lett. 27 mai 1659.
   Je me fis saigner hier du pied dans la vue de vous plaire, SÉV. 191.
   De mon temps on ne savait ce que c'était que de saigner un enfant, SÉV. 26 juin 1675.
   Il y a ici un jeune fils du landgrave de Hesse qui est mort de la fièvre continue sans avoir été saigné ; sa mère lui avait recommandé en partant de ne se point faire saigner à Paris ; il ne s'est point fait saigner, il est mort, SÉV. 10 déc. 1670.
   M. Cousinaut, qui fut depuis premier médecin du roi, fut, pour un violent rhumatisme, saigné soixante-quatre fois en huit mois, GENLIS Maison rust. t. II, p. 178, dans POUGENS.
   Saigner jusqu'au blanc, à blanc, tirer une telle quantité de sang, que le patient devienne blanc.
   Absolument. Il saigne bien.
   Sache, mon ami, qu'il ne faut que saigner et faire boire de l'eau chaude ; voilà le secret de guérir toutes les maladies du monde, LESAGE Gil Bl. II, 3.
   Ils [les Taïtiens] ont l'usage de saigner ; mais ce n'est ni au bras ni au pied ; un taoua, c'est-à-dire un médecin ou prêtre inférieur, frappe avec un bois tranchant sur le crâne du malade ; il ouvre par ce moyen la veine que nous nommons sagittale ; et, lorsqu'il en a coulé suffisamment de sang, il ceint la tête d'un bandeau qui assujettit l'ouverture, BOUGAINVILLE Voy. t. II, p. 111.
   Tuer, égorger un animal. Saigner un porc.
   Par extension. Saigner quelqu'un, lui donner un coup d'épée, le tuer d'un coup d'épée.
   Monsieur, je veux toucher mes quatre cents pistoles, Ou, cadédis, je veux le saigner à l'instant, REGNARD le Bal, 14.
   Saigner la viande, la purger du sang grossier. On n'a pas assez saigné cette viande.
   Fig. Exiger, tirer de quelqu'un, plus qu'il ne croyait payer. Autrefois le gouvernement saignait de temps en temps les traitants.
   Par analogie. Saigner un fossé, un marais, en faire écouler l'eau par des rigoles.
   Les nouvelles de Zutphen étaient ce matin, qu'il y avait deux logements de quarante hommes chacun sur la contrescarpe, qu'on saignait le fossé, PELLISSON Lett. hist. t. I, p. 194.
   Il y eut un autre prodige [au siége de Leyde en 1575], c'est que les assiégeants [les Espagnols] osèrent continuer le siége et entreprendre de saigner cette vaste inondation [pratiquée par les Hollandais], VOLT. Moeurs, 164.
   Saigner une rivière, détourner une partie de son cours.
   Terme d'artillerie. Saigner une gargousse, en retirer de la poudre.
   Se saigner, v. réfl. Être saigné. Le porc se saigne d'une manière très cruelle.
   Fig. Se saigner, donner jusqu'au point de se gêner, faire un sacrifice d'argent. Cet homme se saigne pour ses enfants.
   Mais, Frosine, as-tu entretenu la mère touchant le bien qu'elle peut donner à sa fille ? lui as-tu dit qu'il fallait qu'elle s'aidât un peu, qu'elle fît quelque effort, qu'elle se saignât pour une occasion comme celle-ci ?, MOL. l'Av. II, 6.
   Pour les frères jésuites, on n'estime pas qu'ils doivent se saigner en cette occasion, attendu que la France va être incessamment purgée desdits frères, VOLT. Facéties, Gaz. de Londres..
   Des grammairiens ont recommandé de dire saigner au nez pour exprimer l'écoulement du sang par le nez, et saigner du nez pour lâcher pied, reculer. Mais saigner au nez est une invention de ces grammairiens ; saigner au nez ne se trouve nulle part, ni au propre, ni au figuré. Quant à l'origine de la locution, on a dit qu'elle provenait de la peste noire du XIVe siècle, où les saignements étaient de mauvais augure. Mais cela ne s'appuie ni sur la tradition ni sur le sens. L'interprétation en est donnée par un passage de Lanoue cité dans l'historique : saigner du nez est une excuse pour ne pas agir, pour ne pas marcher à l'instant même, et cela a été dit figurément pour les cas où un homme recule devant une difficulté ou un péril. On dit aussi : le nez lui saigne, et cela s'explique par l'émotion vive qui cause un saignement ; voyez le passage d'Amyot, cité après Lanoue.
   XIe s.
   Tant ad seinet [que] li oil [les yeux] li sunt trublet, Ch. de Rol. CXLVII.
   XIIe s.
   Illoc [il] se fait ventouser et segner, Ronc. p. 159.
   XIIIe s.
   Si [elle] saignoit com ce fust perceüre de clou, Berte, XXXII.
   Vous le m'afierés tout sour vostre loi, et ferés plus, car nous nous sainerons tout ensamble, et buvera li uns del sant à l'autre, Chr. de Rains, p. 23.
   Li cervoisier de Paris qui ont soixante ans de age, et cil qui sont malade, cil qui sont sainnié, se il n'ont esté semons ains qu'il se firent sainier.... sont quite du gueit...., Liv. des mét. 31.
   Se cil qui est batus saine par le nez por le [la] bature, par tel sanc l'amende ne croist de riens, BEAUMANOIR XXX, 17.
   XVIe s.
   Le pape.... ne voulant aucunement contribuer du sien.... s'avisa d'assembler les plus notables bourgeois.... pour leur representer le peril dont ils ne se pouvoient garantir qu'en se saignant tous, Mém. sur du Guesclin. ch. 16.
   Les autres qui n'ont gueres envie de mordre (qui feignent seigner du nez, avoir une estriviere rompue, ou leur cheval desferré), demeurent derriere, LANOUE 291.
   Il receut force injures et reproche que le nez lui saignoit, D'AUB. Hist. I, 233.
   La teste luy tourna, par maniere de dire, et le nez luy saigna quand il vint à considerer la grandeur du peril, AMYOT Pélop. 14.
   Quand ils sceurent que mondict sieur le mareschal y estoit, le cueur, non pas le nez leur saigna, et se retirerent...., CARLOIX IX, 43.
   Il fut deux jours sans cesser de saigner par le nez, PARÉ XXIV, 28.
   Les bonnes gens de village appellent saigner la terre, quand on la remue hors temps, O. DE SERRES 87.
   Saint Paul et sainte Barbe, pource qu'ils estoient vierges, ne saignerent que du lait quand on leur coupa la teste, H. EST. Apol. d'Hérod. p. 546, dans LACURNE.
   Sang ; picard, sainer, saner ; wallon, sainî, sô ; prov. sangnar, sancnar, sagnar ; espagn. et portug. sangrar ; ital. sanguinare.

Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. . 1872-1877.

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