- roue
- (roue) s. f.1° Machine de forme circulaire qui, en tournant sur son essieu, sert à mouvoir quelque chose. Carrosse à quatre roues. Les grandes roues, les petites roues.• D'un carrosse, en tournant, il accroche une roue, Et du choc le renverse en un grand tas de boue, BOILEAU Sat. VI.• Comme une mère.... Qui voit, devant ses pas, un enfant jeune et beau Tomber sous une roue ou s'engloutir sous l'eau, P. LEBRUN Voy. de Grèce, VIII, 7.Pousser à la roue, pousser une roue pour aider les chevaux à tirer la voiture.Fig. Pousser à la roue, aider quelqu'un à réussir dans une affaire.• Le duc de Noailles, qui songeait à s'assurer la dépouille de M. de Beauvillier, poussait incessamment à la roue [pour le renverser], SAINT-SIMON 56, 179.• Poussant trop à la roue il peut tout renverser, BOISSY Impatient, IV, 11.Fig. Mettre, jeter des bâtons dans les roues, susciter des obstacles, entraver une affaire.Cela sert comme une cinquième roue à un carrosse, cela est tout à fait inutile.On dit dans le même sens : c'est une cinquième roue à un carrosse.• Châteauneuf avait le talent de rapporter les affaires au conseil des dépêches, mieux qu'aucun magistrat ; du reste, la cinquième roue d'un chariot, SAINT-SIMON 77, 259.• Pontchartrain fort contraire à M. le duc d'Orléans ; la Vrillière dont la charge et l'emploi étaient la cinquième roue d'un chariot, SAINT-SIMON 393, 70.Fig. et populairement. Des roues de derrière, des pièces de cinq francs en argent, ainsi dites parce qu'elles sont nos plus grosses pièces de monnaie.2° Terme de marine. Roue de gouvernail, roue dont les rayons se prolongent au delà de la jante ; ces prolongements sont les leviers au moyen desquels les timoniers font tourner la roue pour agir sur la barre du gouvernail.3° Faire la roue, se dit des sauteurs qui font le moulinet avec leur corps, posant les mains en terre et levant les jambes en l'air, puis retombant sur les jambes et levant les mains en l'air, et ainsi de suite.Faire la roue sur soi-même, tourner sur son axe.• Tandis que le soleil fait la roue sur lui-même, VOLT. Oreilles, 2.En parlant du paon, du dindon, déployer sa queue en rond. Ce paon fait la roue.• C'est, ce semble, pour étaler à nos yeux toutes ses beautés qu'il [le paon] fait cette pompeuse roue qui les met en évidence, ROLLIN Traité des Ét. V, art. 3 et 4.Fig. et familièrement. Cet homme fait la roue, il se pavane.• Gardez-vous.... Des systèmes dorés aux plumages changeants Qui dans les carrefours s'en vont faire la roue, V. HUGO Crép. 17.4° Terme de mécanique. Pièce en forme de roue qui entre dans la composition d'une machine et qui sert à la mouvoir. Dents d'une roue. Les roues d'une horloge, d'une montre.• Mainte roue y tient lieu [dans une montre] de tout l'esprit du monde ; La première y meut la seconde ; Une troisième suit : elle sonne à la fin, LA FONT. Fabl. X, 1.Par extension.• Des ignorants qui n'en ont examiné qu'une roue [de la nature], dont ils connaissent à peine quelques dents, forment des conjectures sur leur engrenure dans cent mille autres roues, dont ils ignorent le jeu et les ressorts, DIDER. Mém. Prom. scept..Fig.• La crainte, cette grande roue des gouvernements arbitraires, y tenait lieu de morale et de principes, RAYNAL Hist. phil. VI, 12.Terme de mécanique. Roue d'angle, roue dentée dont les dents sont sur une surface conique, et qui sert à transmettre le mouvement à un arbre qui n'est pas parallèle à celui sur lequel elle est calée ; le plus souvent ces deux arbres sont à angle droit.Roue de champ, celle qui a ses dents perpendiculaires au plan.Roue persique, roue employée à élever l'eau.Roue à eau ou hydraulique, roue mue par l'eau.Roue à sabots, roue destinée à l'irrigation.La maîtresse roue, la roue principale d'une machine.Fig.• Toute la cour comprit qu'elle [la duchesse de Bourgogne] pourrait bien vouloir et se mettre en état de devenir la maîtresse roue de la machine de la cour et peut-être de l'État, SAINT-SIMON 206, 28.5° Roue-archet, roue pleine frottée de colophane, qui dans la vielle tient lieu d'archet.6° Sorte de pupitre tournant qui se plaçait dans les anciennes bibliothèques (celle de Charles V, au Louvre, par exemple).7° Terme de marine. Roue de cordage, cordage cueilli ou plié plusieurs fois sur lui-même, en rond.On dit aussi pli de cordage.8° Terme de loterie. Roue de fortune, tambour en forme de roue, où l'on enferme les numéros pour les tirer au sort.9° Fig. La roue de la fortune, ou, simplement, la roue, les vicissitudes dans les événements humains.• Sort, voilà de tes jeux, et la roue a tourné, ROTR. Vencesl. IV, 6.• Qu'à son gré désormais la fortune me joue ; On me verra dormir au branle de sa roue, BOILEAU Ép. V.• Il y a mille André dans le monde auxquels il n'a manqué qu'un tour de roue de la fortune pour en faire des hommes d'un vrai mérite, VOLT. l'Homme aux 40 écus, le Bon sens de M. André.• Lorsque la fortune à sa roue Attache mille ambitieux, BÉRANG. Tournebr..Être au haut, au plus haut de la roue, être dans une grande élévation, dans la plus grande élévation.• Aujourd'hui gros, enflés, sur le haut de la roue...., RÉGNIER Sat. XIV.• Ainsi de la vertu la fortune se joue : Tel aujourd'hui triomphe au plus haut de la roue...., BOILEAU Sat. I.Être au bas, au plus bas de la roue, être dans un grand abaissement, dans le plus grand abaissement.10° Anciennement, genre de supplice dans lequel, après avoir rompu un condamné, on l'attachait sur une roue.• Un des assassins [d'Albert I], nommé Rodolphe de Varth, seigneur considérable, est pris, et c'est par lui que commence l'usage du supplice de la roue, VOLT. Ann. Emp. Henri VII, 1309.• Étendre un homme sur une croix de Saint-André, lui casser les bras et les cuisses, et le mettre en cet état sur une roue de carrosse, nous paraît une barbarie qui offense trop la nature humaine, VOLT. Dial. XXIV, 15.• Quand on l'eut conduit [Patkul] au lieu du supplice, et qu'il vit les roues et les pieux, il tomba dans des convulsions de frayeur, et se rejeta dans les bras du ministre, qui l'embrassa en le couvrant de son manteau et en pleurant, VOLT. Charles XII, 3.• Le pauvre homme [un vieillard nommé Martin] a expiré sur la roue, et le tout par une méprise ; qu'on me dise à présent quel est l'homme qui est assuré de n'être pas roué !, VOLT. Lett. d'Alembert, 31 janv. 1770.• La pauvre veuve Calas n'a point encore reçu du roi de dédommagement pour la roue de son mari ; je ne sais pas au juste la valeur d'une roue ; mais je crois que cela doit être cher, VOLT. Lett. d'Argental, 1er avr. 1765.Fig. Être sur la roue, souffrir de grandes douleurs physiques ou morales.• Le roi a souffert aujourd'hui sept heures de suite, comme s'il eût été sur la roue, MAINTENON Lett. à Mme de Brinon, 1686, t. II, p. 187, dans POUGENS.• Voilà les dangers inévitables des longueurs affreuses que le sort nous fait subir ; je serai sur la roue jusqu'à demain, où j'attends le retour du..., Corresp. du gén. Klinglin, I, 425.11° Marque en forme de roue.• Le concile de Latran ordonna qu'ils [les Juifs] portassent une petite roue sur la poitrine, pour les distinguer des chrétiens, VOLT. Moeurs, 103.(voy. rouelle, à l'historique).12° Terme de couture. Roue, faux ourlet en étoffe rapportée, placé au bas d'une jupe.13° Terme d'alchimie. Roue élémentaire des sages, la révolution d'une année ; la conversion des éléments.XIIIe s.• De fortune me tourne diversement la roe, Berte, XXXIII.• Quant sus sa roe [la fortune] les fait estre, la Rose, 4873.XIVe s.• De deux roes la pire est celle qui braira, Guesclin. 20842.• Jacques de Parvis et Jean Grosbois, huchiers, pour leur peine d'avoir dessemblé tous les bancs et deux roes qui estoient en la librairie du roy au palais, DE LABORDE Émaux, p. 486.XVe s.• Anglois avoient fait ouvrer et charpenter deux beffrois de gros merrains à trois estages et seant chacun beffroi sur quatre roes, FROISS. I, I, 237.• Or voeil parler del estat del orloge ; La premeraine roe qui y loge, Celle est la mere et li commencemens Qui fait mouvoir les aultres mouvemens, FROISS. Orloge amoureux..• Sire chevalier vous avez aujourd'hui fait la roue [parcouru] par le tournoy, et tant que vous en avez grant bruit ; mais vous ne passerez par ici...., Perceforest, t. V, f° 11.• Il m'est advis que je suis la quinte roue du chariot, qui ne sert de riens, ib. t. I, f° 122.• Et n'est nulle chose plus vraye, Que telz prelaz moult se resjoient, Quant grosses tourbes de gens voient Après eulx, là monstrant leur roe, E. DESCH. Poés. mss. f° 522.• Comme iceulx compaignons se feussent mis à jouer pour le vin à un jeu appellé le jeu des roes de fer en place commune et publique, DU CANGE rota..XVIe s.• Et falloit bien peu poulser à la roue pour faire trebucher le tyran en totale ruine, AMYOT Pélop. 53.• Si fut attaché et lié à la roue où l'on gehennoit les criminelz, AMYOT Nicias, 53.• Il gaigne là dedans cinquante pieces [de canon] sur roues, et force poudres, D'AUB. Hist. II, 85.• Si tost que ce cheval eut les deux pieds de devant à terre, il fit une roue qui escarta ceux qui environnoient le batteau, D'AUB. ib. II, 451.• .... Sa peine est plus cruelle Que s'il tournoit là bas la rou' continuelle, RONS. 142.• L'heur du monde n'est rien qu'une roue inconstante, D'un labeur eternel montant et descendant, DESPORTES Oeuvres chrestiennes, Sonnets, 12.• Les boeufs qui servoient aux jardins royaux de Suse, pour les arrouser et tourner certaines grandes roues à puiser de l'eau, MONT. II, 173.Bourguig. reue ; picard, reue, reule, provenç. et portug. roda ; espagn. rueda ; ital. rota, ruota ; du lat. rota ; sanscr. ratha, du radical ri, aller (le th est inorganique, pour t).
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.