- obscurité
- (ob-sku-ri-té) s. f.1° État de ce qui est privé de lumière. Percer, chasser, dissiper l'obscurité.• Une grande obscurité couvrait toute la ville, VOIT. Lett. 10.• ....Elle s'est quelque temps égarée Dans ces bois qui du camp semblent cacher l'entrée ; à peine nous avons, dans leur obscurité, Retrouvé le chemin que nous avions quitté, RAC. Iph. I, 4.L'obscurité, la nuit.• Dès que l'obscurité régnera dans la ville, MOL. Dép. am. V, 1.Fig.• Malgré l'obscurité de son illusion, J'espère démêler cette confusion, CORN. Héracl. IV, 5.2° Fig. Ce qui est comparé, dans les choses intellectuelles ou morales, aux ténèbres physiques ; état de ce qui est caché, voilé, inconnu.• Dans cette obscurité tout me devient suspect, CORN. Tois. d'or, V, 2.• De quoi sert une longue et subtile dispute Sur des obscurités où l'esprit est déçu ?, CORN. Imit. I, 3.• Messieurs, ces traits [écriture d'une lettre] pour vous n'ont point d'obscurité, MOL. Mis. V, 4.• Je regarde de toutes parts, et ne vois partout qu'obscurité ; la nature ne m'offre rien qui ne soit matière de doute et d'inquiétude, PASC. Pens. XII, 2, édit. HAVET..• Sans l'Écriture, qui n'a que Jésus-Christ pour objet, nous ne connaissons rien, et ne voyons qu'obscurité et confusion dans la nature de Dieu et dans la propre nature, PASC. ib. XXII, 8.• Ce sont les clartés qui méritent, quand elles sont divines, qu'on révère les obscurités, PASC. ib. XVI, 1.• Il n'est pas juste de prendre ses obscurités [de Mahomet] pour des mystères, vu que ses clartés sont ridicules ; il n'en est pas de même de l'Écriture : je veux qu'il y ait des obscurités qui soient aussi bizarres que celles de Mahomet ; mais il y a des clartés admirables, et des prophéties manifestes accomplies, PASC. ib. XIX, 9.• Il y a assez de clarté pour éclairer les élus, et assez d'obscurité pour les humilier ; il y a assez d'obscurité pour aveugler les réprouvés, et assez de clarté pour les condamner et pour les rendre inexcusables, PASC. ib. XX, 1.• Je vous vois dans une pleine solitude.... je trouve qu'il est commode de connaître les lieux où sont les gens à qui l'on pense toujours : ne savoir où les prendre fait une obscurité qui blesse l'imagination, SÉV. 3 juill. 1675.• Le ministre [Mazarin], au milieu de tant de conseils que l'obscurité des affaires et l'incertitude des événements et les différents intérêts faisaient hasarder...., BOSSUET le Tellier..• Des faits échappés laissent de l'obscurité dans l'histoire, BOSSUET Hist. II, 13.• La profonde obscurité du coeur de l'homme, qui ne sait jamais ce qu'il voudra, qui souvent ne sait pas bien ce qu'il veut, et qui n'est pas moins caché ni moins trompeur à lui-même qu'aux autres, BOSSUET Anne de Gonz..• Quel soudain rayon perçait la nue, et faisait comme s'évanouir en ce moment, avec toutes les ignorances des sens, les ténèbres mêmes, si je l'ose dire, et les saintes obscurités de la foi ?, BOSSUET Louis de Bourbon..• Elle passa tout d'un coup d'une profonde obscurité à une lumière manifeste ; les nuages de son esprit sont dissipés, BOSSUET Anne de Gonz..• Il accompagnait de toutes les lumières de la raison la respectable obscurité de la foi, FONTEN. Dodart..• Laisse, laisse à jamais dans son obscurité Ce secret malheureux qui pèse à ta bonté, VOLT. Mort de César, I, 4.• Convenons plutôt que la conduite des hommes les plus sages et les plus vertueux présente quelquefois des obscurités impénétrables, BARTHÉL. Anach. ch. 67.L'obscurité des temps, l'obscurité de l'avenir, le peu de connaissance que l'on a du temps passé ou du temps à venir.• Ces rois antiques [d'Écosse], dont l'origine se cache si avant dans l'obscurité des premiers temps, BOSSUET Reine d'Anglet..• Son illustre maison, dont l'origine s'est perdue dans les obscurités du temps, lui fournissait, depuis sept cents ans, de grands exemples, FLÉCH. M. de Montausier..3° Fig. Défaut de lumières, de civilisation.• Tout a des révolutions réglées, et l'obscurité se terminera par un nouveau siècle de lumières, D'ALEMB. Disc. prélim. encycl. Oeuv. t. I, p. 294, dans POUGENS..4° Fig. Défaut de clarté dans les idées, dans les expressions.• Ô de ses derniers mots fatale obscurité, CORN. Rodog. V, 4.• [Montaigne] montrant que l'exclusion de toutes lois diminuerait plutôt le nombre des différends que cette multitude de lois qui ne sert qu'à l'augmenter, parce que les difficultés croissent à mesure qu'on les pèse, que les obscurités se multiplient par le commentaire...., PASC. Entret. avec M. de Saci..• Ce qui cause ordinairement l'obscurité du discours, c'est de vouloir toujours s'expliquer avec brièveté : il vaut mieux pécher par trop d'étendue que par trop peu, ROLLIN Traité des Ét. IV, 2.• Ô d'un oracle faux obscurité trompeuse, VOLT. Oedipe, IV, 1.• L'obscurité et la confusion des mots viennent de ce que nous leur donnons trop ou trop peu d'étendue, ou même de ce que nous nous en servons, sans leur avoir attaché d'idée, CONDIL. Conn. hum. II, II, 2.Être dans l'obscurité, ne pas comprendre ; jeter dans l'obscurité, empêcher de comprendre.• Je dois demeurer dans l'obscurité, PASC. Prov. III.• Ce terme me jeta dans l'obscurité, PASC. ib. I.Jeter de l'obscurité dans l'esprit, empêcher de comprendre.• Plus ils font d'efforts pour s'expliquer, plus ils jettent l'obscurité dans les esprits, BOSSUET Var. 12.5° Il se dit des personnes dont la conduite ne s'explique pas.• C'était un homme plein d'artifice et d'obscurité dans sa conduite, VOLT. Charles XII, 2.6° Privation de célébrité, d'éclat ; condition, sort obscur. Obscurité de la naissance, de la famille.• L'obscurité vaut mieux que tant de renommée, CORN. Hor. II, 3.• Je puis bien aimer l'obscurité totale ; mais, si Dieu m'engage dans un état à demi obscur, ce peu d'obscurité qui y est me déplaît ; et, parce que je n'y vois pas le mérite d'une entière obscurité, il ne me plaît pas, PASC. Pens. XXIV, 63 ter..• Jésus-Christ dans une obscurité (selon ce que le monde appelle obscurité) telle, que les historiens, n'écrivant que les importantes choses des États, l'ont à peine aperçu, PASC. ib. XVIII, 2.• Il [Mardochée] me tira du sein de mon obscurité, Et, sur mes faibles mains fondant leur délivrance [des Juifs], Il me fit d'un empire accepter l'espérance, RAC. Esth. I, 1.• Peut-on le voir sans penser, comme moi, Qu'en quelque obscurité que le sort l'eût fait naître, Le monde en le voyant eût reconnu son maître ?, RAC. Bér. I, 5.• Habdilla, tranquille sur le trône de Grenade, ne l'oublia pas ; mais Rasis préféra l'obscurité du séjour de Fez à celui de la cour d'Espagne, DIDEROT Opin. des anc. philos. (Sarrasins)..• La ville tombe dès lors dans une obscurité que les troubles intérieurs et des invasions étrangères firent durer longtemps, RAYNAL Hist. phil. III, 14.7° Terme de jeux. Jouer à l'obscurité, se dit, à l'hombre, lorsque, ayant les deux as noirs, on ne réserve qu'eux, en écartant le reste.XIIe s.• Par les piliers s'en entrerent dedenz ; Il n'orent cierges ne chandeiles ardanz, L'uns avant l'autre ; l'oscurté i fu granz, la Prise d'Orenge, v. 1782. Nostre sires avalad les ciels et descendid, e desuz ses piez fud oscurted, Rois, p. 206.XVe s.• Les citoiens sont despourveus d'esperance et descoignoissans de seigneurie, par l'oscurté de ceste trouble nuée, A. CHART l'Espérance ou consolation des trois vertus.• Vous qui tournez lumiere en obscurté, Et qui voulez du jour faire la nuit, E. DESCH. Vie dissipée.XVIe s.• L'obscurité de la nuit, AMYOT Pyrrh. 32.• Ausquels toute obscurité de paroles eust esté comme cachette pour couvrir leurs erreurs, CALV. Inst. 72.• Je souhaite le jour pendant l'obscurité, Et souhaite la nuit quand le soleil se leve, DESPORTES Diverses amours, XXI, Complainte.Lat. obscuritatem, de obscurus, obscur ; ital. oscurità. L'ancienne langue avait aussi oscuror (askeror, dans ST BERN. p. 526, avec le changement de o en a).
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.