- adorer
- (a-do-ré) v. a.1° Rendre à la divinité le culte qui lui est dû. Dieu veut être adoré de ses créatures.• J'adore la bonté de Dieu, je l'admire, j'y mets ma confiance, BOURD. Pensées, t. I, p. 67.• Et comme ces rois de l'aurore, Un instinct que mon âme ignore, Me fait adorer un enfant, LAMART. Médit. XV.• Assis à ce degré suprême, Il faut s'y défendre soi-même, Comme les dieux sur leurs autels ; Rappeler en tout leur image, Et faire adorer le nuage Qui les sépare des mortels, LAMART. ib..• Ah ! j'aurais dû peut-être.... Et courbant sous sa foi ma raison qui l'ignore [Dieu], L'adorer dans la langue où l'univers l'adore, LAMART. Harold, 39.• Il voulut se faire adorer comme un dieu, BOSSUET Hist. III, 4.• De l'ombre de Ninus l'oracle est adoré, VOLT. Sémir. V, 1.2° Adorer la croix, se dit par relation à J. C. en parlant d'une des cérémonies du culte catholique. On dit de même : Adorer les reliques.3° Adorer se dit aussi absolument.• De tous les endroits de la terre, les Israélites étaient obligés d'y venir adorer [dans le temple], MASS. Car. Respect des temples..• L'immobilité d'un corps anéanti et la profonde religion d'une âme qui adore, MASS. ib..4° Se prosterner devant.• D'où vient, lui dit Alexandre, que tu ne m'adores pas ?, MONTESQ. Lysim..5° Fig.• Je ne vais pas au Louvre adorer la fortune, BOILEAU Sat. II.• Détestais-tu la tyrannie ? Adorais-tu la liberté ? De l'oppression impunie Ton oeil était-il révolté ?...., LAMART. Harm. IV, 1.• Les uns, sacrifiant leur vie à leur mémoire, Adorent un écho qu'ils appellent la gloire, LAMART. IV, 11.6° En termes de spiritualité, se soumettre avec adoration.• Que j'adore en silence l'ordre de votre providence, PASC. Prière..• Ils adorent les jugements de Dieu, BOSSUET Hist. II, 4.• Ne laissez pas d'adorer la main qui nous l'enlève, FLÉCH. Aig..7° En général, dans le même sens.• Puisqu'ils font des heureux, adorez leur ouvrage, CORN. Pomp. I, 1.• ....permettez Que jusques au tombeau j'adore vos bontés, CORN. Nic. V, 9.• Et le peuple, inégal à l'endroit des tyrans, S'il les déteste morts, les adore vivants, CORN. Cinna, I, 3.• Ils adorent la main qui les tient enchaînés, RAC. Brit. IV, 4.• Je sais rendre aux sultans de fidèles services ; Mais je laisse au vulgaire adorer leurs caprices, RAC. Baj. I, 1.• J'adore avec dépit cet excès de courage, VOLT. Orphel. IV, 4.8° Aimer avec passion.• Il adore Émilie, il est adoré d'elle, CORN. Cinna, III, 1.• Vous que de tout mon coeur j'ai toujours adorée, CORN. Théod. III, 3.• Rome sait vos hauts faits, et déjà vous adore, CORN. Nic. IV, 4.• Cette princesse se fait adorer de toute la cour, SÉV. 418.• Allez, en lui jurant que votre âme l'adore, Ä de nouveaux mépris l'encourager encore, RAC. Andr. II, 5.• Déjà de ma faveur on adore le bruit, RAC. Brit. V, 3.• Ils ne seraient pas inutiles à l'éducation d'une fille qu'elle adore, J. J. ROUSS. Hél. I, 1.• Je te jure, à mon tour, de n'adorer que toi, LAMART. Méd. II, 10.9° Proverbial et figuré, adorer le veau d'or, faire la cour à un homme de peu de mérite, à cause de ses richesses.S'ADORER, v. réfl.10° S'adorer l'un l'autre. Ces deux amants s'adorent.11° Être en adoration de soi. Cet homme n'est occupé que de lui ; il s'adore véritablement.C'est par abus qu'on emploie adorer pour aimer beaucoup, quand il s'agit d'objets que l'on ne peut supposer sensibles à notre adoration. Delille dit que Voltaire adorait le café. Un autre adore les huîtres. De telles expressions, dites sérieusement, corrompent la langue.ADORER, VÉNÉRER, HONORER. Rendre des hommages, un culte ou une espèce de culte. Honorer est un terme général qui n'implique que l'hommage qui est rendu ; vénérer enchérit, il s'y joint une idée de crainte respectueuse qui n'est pas incluse dans honorer ; enfin adorer ajoute à l'honneur, à la crainte respectueuse, l'idée d'un amour profond et sans bornes.XIe s.• [Dieu] Le glorius, que deüsse aürer, Ch. de Rol. 9.• N'i ad paien, [qui] nel prit [prie] et nel aort, ib. 66.• Touz ses idoles que il seult adorer, ib. 185.XIIe s.• Et de cil Deu qu'aorent li Persant, Roncisv. p. 28.• Mais par Mahom, cui je doie aourer, ib. p. 78.• Ainz [je] l'aim et serf et aor por usage ; Si [je] ne lui os [ose] mon penser descouvrir, Couci, 19.• Dame, dit-il, que très bon jour Vous doint cil que j'aime et aour, AUDEFR. LE BAST. Romanc. p. 9.XIIIe s.• Qui plus a à soufrir, plus vous doit aourer, Berte, 43.• Par toz les sainz que l'en [on] aeure, Et se dame diex me sekeure [secourt]...., Ren. 9799.• Car de cent amis aparens, Soient compaignons ou parens, S'uns lor en pooit demorer, Dieu en devroient aorer, la Rose, 4904.• Lors je plorai et rendis graces à Dieu, et li dis ainsi : Sire, aouré soies tu de ceste soufraite que tu me faiz, JOINV. 254.XIVe s.• Le commencement et premier article parle de adourer et du lever, le Menagier, I, 1.• Et aourez de tout vostre cuer, ib. I, 2.XVe s.• Et l'adoroient toutes gens comme leur dieu, pour tant qu'il avoit donné le conseil dont...., FROISS. II, II, 160.XVIe s.• Ils baiseront la terre où vos piez marcheront, Ils iront après vous, ils vous adoreront, Leurs cueurs seront bruslants aus rais de votre flame, DE BRACH Olimpe..Picard, aorer ; provenç. adorar, azorar ; espagn. adorar ; ital. adorare ; de adorare, de ad, à (voy. à), et orare, parler, de os, bouche (voy. oraison, oral). D'après quelques étymologistes, adorare signifie proprement porter à la bouche, baiser, de là adorer : adorare purpuram principis, se présenter au prince, parce qu'en l'abordant, on baisait le bas de sa robe. D'autres, prenant en considération le sens de orare qui est parler, ne voient dans adorare que parler à, s'adresser à, et, finalement, prier. Cette dernière explication est la plus simple. L'ancien français était aorer, suivant la tendance à supprimer les consonnes et à rapprocher les voyelles. Le picard a gardé cette forme.
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.