- trancher
- (tran-ché) v. a.1° Séparer en coupant. L'acier de Damas tranche le fer.• Artaxerce, sous prétexte qu'il [un officier] avait manqué de respect pour son prince, en frappant la bête avant lui, ordonna qu'on lui tranchât la tête, ROLLIN Hist. anc. Oeuv. t. III, p. 362, dans POUGENS.• Enfin Almagro fut fait prisonnier, et son rival Pizarro lui fit trancher la tête, VOLT. Moeurs, 148.Absolument. Ce couteau tranche comme un rasoir.• Ce prince vit l'échange, et l'allait empêcher ; Mais l'acier des bourreaux fut plus prompt à trancher, CORN. Héracl. II, 6.Trancher le placage, couper le bois en feuilles minces.Trancher dans le vif, se dit d'un chirurgien qui coupe dans une partie que la gangrène n'a pas encore atteinte.Fig. Trancher dans le vif, rompre tout à coup des relations nuisibles, ou prendre des mesures énergiques dans une affaire.2° Absolument, découper.• Le service de l'écuyer consistait, en paix, à trancher à table, à servir lui-même les viandes, comme les guerriers d'Homère, CHATEAUBR. Génie, IV, V, 4.3° Fig. Couper, ôter, interrompre comme par le fer.• Et toujours la fortune, à me nuire obstinée, Tranche mon espérance aussitôt qu'elle est née, CORN. Poly. IV, 6.• La vie est si précipitée dans sa course qu'à peine avons-nous pris les premières teintures des connaissances que nous recherchons, que la mort inopinément tranche le cours de nos études par une fatale et irrévocable sentence, BOSSUET 2e sermon, Quinquag. I.Poétiquement. Mettre fin à la vie.• Mais si ce fer aussi tranche sa destinée, CORN. Hor. II, 4.• La mort toujours cruelle Aime à trancher des jours heureux, Et n'entend point les voeux D'un infortuné qui l'appelle, QUIN. Amad. III, 1.• Et le fer est moins prompt à trancher une vie Que le nouveau poison que sa main me confie, RAC. Brit. IV, 4.La Parque a tranché ses jours, le il de ses jours, il est mort.• Elle apprit qu'il avait suivi Adraste dans les combats, et que la Parque avait tranché cruellement ses jours, FÉN. Tél. XX..4° Fig. Décider, résoudre. Trancher le noeud de la difficulté. Trancher une question.• Mais laissons les vaines disputes, et tranchons, en un mot, la difficulté par le fond, BOSSUET Hist. II, 13.• Les exemples tranchaient tout le doute en cette matière, BOSSUET Var. XV, 46.5° Abréger, couper court, mettre brusquement fin.• Cela fut cause qu'elle trancha son discours assez court, D'URFÉ l'Astrée, I, 2.• Et, pour trancher enfin ces discours superflus, Albe vous a nommé, je ne vous connais plus, CORN. Hor. II, 3.• Et, pour trancher le cours de leurs dissensions, Il faut fermer la porte à leurs prétentions, CORN. D. Sanche, I, 2.• Tranchez-moi votre discours d'un apophthegme à la laconienne, MOL. Mar. forcé, 6.• Ma dernière partie, que je tranche en un mot, parce que ce n'est que la suite des deux précédentes, BOSSUET Sermons, Asc. de J. C. 2.• Et tu verras mon indulgence Trancher nos éclaircissements, CHAULIEU Raccommodement, à Mme D..• Quand la discussion, comme il arrivait souvent, avait été longue, diffuse, obstinée, le premier consul savait la résumer, la trancher d'un seul mot, THIERS Hist. du Cons. et de l'Emp. XIII.Trancher le mot, appeler hardiment une chose par son nom ; dire sans détour ce qu'on veut dire.• Tranchez le mot, seigneur, je vous ai fait mon maître, Et je dois obéir malgré mon sentiment, CORN. Sertor. II, 2.• Monsieur, la plupart des gens, sur cette question [si on est gentilhomme] n'hésitent pas beaucoup ; on tranche le mot aisément ; le nom ne fait aucun scrupule à prendre, MOL. Bourg. gent. III, 12.• Il y a pourtant de part ou d'autre une fraude manifeste ; tranchons le mot, un crime honteux, VOLT. Pol. et lég. Nouv. probabilités..• Nous souffrons des choses, des gens.... quinze ans de galère, tranchons le mot, ont abaissé notre humeur fière, P. L. COUR. Lettres au censeur, X..Le trancher net, dire tout franc et sans déguisement.• Qu'il ne fait pas bien sûr, à vous le trancher net, D'épouser une fille en dépit qu'elle en ait, MOL. F. sav. V, I.6° Terme de verrerie. Appuyer le verre fondu contre l'extrémité du mors de la canne.Terme de métallurgie. Forger un métal sur la partie droite de la panne du marteau.7° V. n. Fig. Décider hardiment.• Voilà une réponse qui tranche, BOSSUET 1er avert. 21.• Des hommes qui, dans des moeurs dissipées, n'ont jamais donné une heure d'attention sérieuse aux vérités de la religion, tranchent, décident, sur des points qu'une vie entière d'étude, accompagnée de lumière et de piété, pourrait à peine éclaircir, MASS. Carême, Vérité de la relig..8° Abréger, couper court.• Car, tranchant avec moi par ces termes exprès...., MOL. Éc. des f. III, 4.• En peu de mots, sans façon, sans vous amuser à beaucoup de discours, tranchez-moi d'un apophthegme, MOL. la Jalousie du Barbouillé, sc. 6.Elliptiquement. Tranchons là, ne discutons pas davantage.Trancher court, terminer en peu de mots une conversation, un discours.• Si dans cette matière il n'était nécessaire de trancher court, BOSSUET Lett. abb. 184.Trancher net, s'expliquer avec quelqu'un en peu de mots et sans ménagement.• Il n'y a rien de tel que de trancher net, et cela donne un air de savant qui éblouit un lecteur, BOSSUET 5e avert. 37.9° Trancher du, se donner des airs de, en ce sens que ces airs seront péremptoires, avantageux, tranchants.• Mais je ne m'aperçois que, tranchant du prud'homme, Mon temps en cent caquets sottement je consomme, RÉGNIER Sat. IV.• Tranchant du généreux, il croit m'épouvanter, CORN. Poly. v, 1.• Ha ! ne tranche plus du ministre, Tu n'étais né que pour le sistre, SCARR. Mazarin. Oeuv. t. I, p. 286.• Notre homme Tranche du roi des airs, pleut, vente, et fait en somme Un climat pour lui seul, LA FONT. Fabl. VI, 4.• Je te vois en train De trancher avec moi de l'homme d'importance, MOL. Amph. I, 2.• M. de Seignelay trancha du maître dans la marine, comme font tous les ministres du roi dans leur district, LA FAY. Mém. cour France, Oeuv. t. III, p. 52, dans POUGENS.• Il me semblait qu'un homme qui voulait trancher du petit seigneur, ne devait pas se montrer fort sensible à la perte de ses hardes, LESAGE Guzm. d'Alf. IV, 3.• Il faut voir ce marchand, philosophe en boutique.... Trancher du financier, jouer le grand seigneur, GILB. Le XVIIIe s..Trancher du grand, faire le grand personnage.• Le partisan, quoique des plus roturiers de sa compagnie, tranchait du grand, LESAGE Gil Blas, III, 3.10° Passer d'une couleur vive à une autre couleur vive, sans aucune nuance ni adoucissement.• Comme ce sont des couleurs sombres, elles tranchent peu l'une sur l'autre, BUFF. Ois. t. IX, p. 52.Fig. Cette pensée, cette phrase tranche dans son discours, elle a un caractère trop différent de ce qui précède et de ce qui suit.• La qualité de fripon tranche moins que la vertu avec le caractère des hommes, il leur ressemble par là davantage, MARIV. dans DESFONTAINES.• Il tombe quelquefois dans l'écueil dangereux de la familiarité du style, qui contraste et qui tranche avec la délicatesse ou la grandeur de la pensée, D'ALEMB. Élog. Lamotte..Terme de teinturier. Se dit du drap teint en pièce, dont l'intérieur, lorsqu'on le coupe, paraît d'une nuance beaucoup plus faible.11° Se trancher, v. réfl. Être tranché. Ces branches se tranchent avec un sécateur.On lit dans Corneille : Du plus grand des mortels j'ai vu trancher le sort, Pomp. II, 2. Voltaire a blâmé cette phrase, disant qu'on ne tranche point un sort ; mais cela est trop rigoureux, puisqu'on dit trancher la destinée.XIe s.• De noz ostages ferat trencher les testes, Ch. de Rol. IV.XIIe s.• Et se s'espée tranche, la meie [la mienne] ad grant reidur, Th. le mart. 37.• Trenchied ad Deus ui le regne de Israel, Livre des rois, dans RAYNOUARD, Gloss. t. V, p. 416.XIIIe s.• S'ele a biau col et gorge blanche, Gart que cil qui sa robe trenche [taille], Si très bien la li escolete, Que la char pere [paraisse] blanche et nete Demi-pié d'arriers et devant, la Rose, 13518.• Devant la table le roi, manjoit mes sires li roi de Navarre, et je tranchoie devant li, JOINV. 205.• Quant vrai religieux en son cloistre s'enfonce, Monde et mondaine vie par veu si de soi tronce, J. DE MEUNG Test. 730.• Mestre Henry du Perche, qui demoroit à Paris, cyrurgien, trencha le pié [fit des incisions au pied] dudit Guillot en trois liex, Miracles St Loys, p. 129.• Et lores si mistrent lor trancheor à une tour, et cil commencierent à trenchier [miner] le mur, DU CANGE trenchia..• Le porroit prendre [un vilain qui se serait laissé donner la chevalerie] li rois ou li bers en qui chastellerie ce seroit, et trencher ses esperons seur un fumier, DU CANGE calcar..XVe s.• Or venoit le froid du matin qui les happoit et tranchoit tout le corps ; dont ils entroient en fievres et en maladies ; et au corps ils avoient le cours du ventre, FROISS. II, III, 83.• Si leur [aux Anglais] fault garder le passage, Que dedans Patay nullement Ne se boutent.... Connestable, je vous supplie Leur aller trancher le chemin, Myst. du siége d'Orl. p. 767.XVIe s.• Ces deux armées se trancherent et ramparerent, se flancquants d'artillerie...., CARLOIX VII, 17.• Premierement, en trenchant les vivres par mer avec ses vaisseaux, il fut en peu de temps maistre des provisions necessaires pour vivre, AMYOT Mar. 77.• Ils commencerent à trencher [ouvrir des tranchées] tout à l'entour pour le renfermer, AMYOT Agésil. 65.• Les bois, les monts, les baisses [vallées] vois [je vais] tranchant [franchissant], LA BOÉTIE 442.• Cettui-là impuissant de livrer son isle, pource que le peuple se tenoit à la domination la plus ferme, et aussi que cet homme irresolu trenchoit des deux costez, D'AUB. Hist. II, 117.• Une forteresse trenchée en roche de tous costez, D'AUB. ib. I, 186.• Triste, je trancherai ce tragique discours, D'AUB. les Tragiques, II.Génev. trancher, tourner, se cailler : le lait a tranché ; provenç. trencar, trenchar, trinquar ; catal. trencar ; anc. esp. trinchar ; esp. mod. et portug. trincar ; ital. trinciare. Origine incertaine. Diez rejette truncare, les formes romanes y répugnant. Il rejette également transcindere et transsecare. Mais, Langensiepen ayant proposé une forme non latine interimicare, dérivée de interimere, Diez est conduit à proposer internecare (internecare culmum, dans Prudence, faire mourir le chaume) : internecare donnant entrencar, qui se trouve en effet dans le provençal, puis trencar, comme si le en tombé avait été la préposition en Cela est très peu sûr. Voyons les faits positifs. Truncare ou trunciare ont donné en français trencher, comme voluntatem a donné volenté et unquam a donné anc ; réciproquement, on a un exemple de en latin transformé en un français, fregunder de frequentare. De plus on trouve trenson à côté de tronçon, troncher à côté de trencher, et tronche à côté de trenche. Tout montre donc que trencher a son origine dans truncare. Passons au provençal : nous y avons trenso à côté de tronso, et anc de unquam ; on peut donc admettre que, là aussi, l'un de truncare s'est changé en en. Mais l'in de l'espagnol et de l'italien fait une grosse difficulté. Le provençal montre une transition ; car il dit à la fois trencar et trinquar (la forme en in n'est pas absolument étrangère au français ; voy. trainchiement à l'historique de TRANCHÉMENT). D'ailleurs le changement de l'un latin en in n'est pas sans exemple dans le domaine roman, puisqu'il y a en français ainc de unquam. L'in provençal, dérivé de en, aura déterminé l'in de l'espagnol et de l'italien. En résumé, le français vient de truncare, et il est probable que les autres formes romanes en viennent aussi.SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRETRANCHER. - ÉTYM. Ajoutez : En confirmation de l'origine de trancher dans le latin truncare, on doit citer la forme troinchier : XIIIe s.• Et si lor en feroit toz les manbres troinchier, Floovant, V. 153.
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.