- mer
- (mèr) s. f.1° La vaste étendue d'eau salée qui baigne toutes les parties de la terre.• Je vais passer la mer, pour voir si l'Afrique, que l'on dit produire toujours quelque chose de rare, a rien qui le soit tant qu'elles [deux dames], VOIT. Lett. 39.• On équipe par ses conseils et presque à ses dépens un vaisseau qui doit porter dans la Chine les richesses de l'Évangile ; le ciel, la mer, les vents favorisent d'abord cette entreprise, FLÉCH. Aiguillon..• Quoi ! pour noyer les Grecs et leurs mille vaisseaux, Mer, tu n'ouvriras pas des abîmes nouveaux ?, RAC. Iphig. V, 4.• Les vents agitent l'air d'heureux frémissements, Et la mer leur répond par ses mugissements, RAC. ib. V, 6.• Au seul son de sa voix [de Dieu], la mer fuit, le ciel tremble, RAC. Esth. I, 3.• La mer la plus terrible et la plus orageuse Est plus sûre pour nous que cette cour trompeuse, RAC. ib. III, 1.• L'empire de la mer a toujours donné aux peuples qui l'ont possédé une fierté naturelle, parce que, se sentant capables d'insulter partout, ils croient que leur pouvoir n'a plus de bornes que l'Océan, MONTESQ. Esp. XIX, 27.• L'étendue de la mer est aussi grande que celle de la terre ; ce n'est point un élément froid et stérile, c'est un nouvel empire aussi riche, aussi peuplé que le premier, BUFF. Quadrup. t. IV, p. 10.• Ô mer, terrible mer, quel homme à ton aspect Ne se sent pas saisi de crainte et de respect ! De quelle impression tu frappas mon enfance !, DELILLE. Hom. des ch. III.• Cette superbe mer sur laquelle l'homme jamais ne peut imprimer sa trace, STAËL Corinne, I, 4.• Que j'aime à contempler dans cette anse écartée La mer qui vient dormir sur la grève argentée, Sans soupir et sans mouvement !, LAMART. Harm. I, 10.• Terre, assoupissez vos échos ; Étends tes vagues sur les plages, ô mer...., LAMART. ib. I, 2.Chacune des grandes portions de cette masse d'eau. La mer Atlantique, Germanique, Britannique, Pacifique.• J'ai visité l'Élide, et, laissant le Ténare, Passé jusqu'à la mer qui vit tomber Icare, LAMART. Phèd. I, 1.• La Méditerranée, cette mer si connue de tout temps par les nations les plus savantes, toujours couverte de leurs vaisseaux, traversée de tous les sens possibles par une infinité de navigateurs, n'avait que huit cent soixante lieues d'occident en orient, au lieu de onze cent soixante qu'on lui donnait, erreur presque incroyable, FONTEN. Élog. Delisle..• On n'avait point encore la véritable étendue ou figure de la mer Caspienne, que l'on doit aux conquêtes et aux découvertes du feu czar, FONTEN. ib..• C'est la mer Méditerranée que l'Écriture appelle d'ordinaire la grande mer, FLEURY Moeurs des Israél. tit. VII, 2e part. p. 70 et 71, dans POUGENS..• Hannon, dans la négociation avec les Romains, déclara qu'il ne souffrirait pas seulement qu'ils se lavassent les mains dans les mers de Sicile, MONTESQ. Esp. XXI, 11.• On a donné à ce bras de l'Océan le nom de mer Rouge, parce qu'elle a en effet cette couleur dans tous les endroits où il se trouve des madrépores sur son fond, BUFF. Hist. nat. preuv. théor. terr. Oeuvr. t. II, p. 128.• On sait que la mer Rouge doit son nom à la présence d'innombrables petites algues (trichodesmie d'Ehrenberg) qui, particulièrement accumulées parfois dans certains golfes, donnent aux eaux la coloration du sang, GRIMARD Revue des Deux-Mondes, 1er avril 1867, p. 667.Particulièrement, les deux mers, l'Océan et la Méditerranée.• Avant lui [Louis XIV], la France, presque sans vaisseaux, tenait en vain aux deux mers, BOSSUET Mar.-Thér..• J'entends déjà frémir ces deux mers étonnées De voir leurs flots unis au pied des Pyrénées, BOILEAU Ép. I.Mer démontée, voy. démonté.• Haute mer, tout parage de la mer qui est hors de la vue de toute terre et qu'on nomme aussi le large, ROMME dans JAL.Pleine mer, synonyme de haute mer.Fig. Il vogue en pleine mer, se dit d'un homme dont la fortune est bien établie.Fig. Il est en pleine mer, se dit de celui qui avance dans un long travail.Mer intérieure, locution employée parfois pour Méditerranée.On donne aussi le nom de mer intérieure à de grandes masses d'eau salée qui n'ont aucune communication avec les autres mers. La mer Caspienne est une mer intérieure.Bras de mer, partie de la mer qui passe entre deux terres assez proches l'une de l'autre.Port de mer, ville ou endroit situé sur le bord de la mer et ayant un port.Sur mer, se dit, dans une signification particulière, pour indiquer qu'une localité est sur le rivage de la mer. Boulogne-sur-mer.Écumeur de mer, pirate, corsaire.Homme de mer, homme dont la profession est de naviguer sur mer ; au plur. les gens de mer.• Les gens de mer [chez les Romains] étaient ordinairement des affranchis, MONTESQ. Esp. XXI, 12.• On s'attendait encore moins qu'un prince qui était saisi d'un effroi machinal qui allait jusqu'à la sueur froide et à des convulsions quand il fallait passer un ruisseau, deviendrait un jour le meilleur homme de mer dans le Septentrion, VOLT. Russ. I, 6.Armée de mer, flotte composée de vaisseaux armés en guerre.Mettre un vaisseau en mer, lui faire quitter le port.• On n'a point eu d'ordre de mettre la flotte en mer, SÉV. 572.Absolument, mettre en mer, mettre à la mer, quitter le port.• On ne doute pas qu'une perte si considérable n'excite de grandes clameurs contre le prince d'Orange, qui avait toujours assuré les alliés que nous ne mettrions cette année à la mer que pour nous enfuir et nous empêcher d'être brûlés, RAC. à Bonrepaux, Lett. 41.Se mettre en mer, s'embarquer.• Elle se met en mer au mois de février, malgré l'hiver et les tempêtes, BOSSUET Reine d'Anglet..Prendre la mer, commencer une navigation.Par mer, c'est-à-dire sur la mer.• Louis est le rempart de la religion ; c'est à la religion qu'il fait servir ses armes redoutées par mer et par terre, BOSSUET Mar.-Thér..Fig. et familièrement. Chercher quelqu'un par terre et par mer, le chercher en divers endroits.Tenir la mer, naviguer, courir en haute mer, loin des ports et des rades.La mer est basse en cet endroit, il n'y a pas beaucoup d'eau.Familièrement. Cette viande, cette sauce, cette soupe est salée comme mer, elle est trop salée.C'est la mer à boire, se dit pour exprimer qu'une chose est pleine de longueurs et de difficultés, ou qu'elle ne finit pas.• Si j'apprenais l'hébreu, les sciences, l'histoire, Tout cela c'est la mer à boire ; Mais rien à l'homme ne suffit, LA FONT. Fabl. VIII, 25.• J'ai passé à la poste, mon petit homme m'a renouvelé ses excuses ; mais je n'en suis pas mieux ; ma lettre [la lettre que j'attends] est entre les mains de ces maudits facteurs, c'est-à-dire la mer à boire, SÉV. 23 mai 1672.En un sens contraire, ce n'est pas la mer à boire, se dit d'une chose qui ne présente pas de grandes difficultés.Par exagération, c'est un homme qui avalerait la mer et les poissons, se dit d'un homme qui a une grande soif ou un appétit désordonné ; et fig. d'un homme très cupide.Fig. Porter de l'eau en la mer, porter quelque chose en un lieu où il y en a grande abondance.Fig. C'est une goutte d'eau dans la mer, c'est-à-dire ce que vous apportez ne paraîtra rien ; le secours que vous donnez est un rien à côté de ce qu'il faudrait, etc.Fig. Labourer le rivage de la mer, prendre une peine inutile.Rois de la mer, titre des chefs des anciens pirates du Nord.2° Terme de marine. La mer, la marée. Pleine mer. La mer est pleine.La mer monte, la mer descend, se dit du flux et du reflux.Il est basse mer, la mer est vers la fin de son reflux.Grandes mers, par opposition à mortes eaux, les marées de syzygie, qui sont plus fortes que les autres.3° Coup de mer, tempête de peu de durée.Il se dit aussi d'une vague. Durant cette tempête, un coup de mer emporta notre gouvernail.4° Au plur. Les mers, l'ensemble des eaux de la mer considérées d'une manière vague.• Ô voyage bien différent de celui qu'elle avait fait sur la même mer, lorsque, venant prendre possession du sceptre de la Grande-Bretagne, elle voyait, pour ainsi dire, les ondes se courber sous elle, et soumettre toutes leurs vagues à la dominatrice des mers !, BOSSUET Reine d'Anglet..• Ainsi tel.... S'en va, mal à propos, d'une voix insolente, Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante, Et, poursuivant Moïse au travers des déserts, Court avec Pharaon se noyer dans les mers, BOILEAU Art p. I.• Souveraine des mers qui vous doivent porter, RAC. Mithr. I, 3.• Errant dans toute l'étendue des mers, FÉN. Tél. I.• Mais déjà l'ombre plus épaisse Tombe et brunit les vastes mers, LAMART. Médit. Baïa..5° Par exagération, grande étendue d'eau non salée. La rivière débordée couvrait la campagne, c'était une mer.6° Mer de sable, vaste étendue de terre couverte de sable.• Que dirons-nous de ces mers de sable qui traversent le milieu de l'Afrique ?, VOLT. Jenni, 9.7° Fig. Mer se dit d'une grande quantité.• C'est dans des mers de sang qu'on a noyé [en Angleterre] l'idole du pouvoir despotique ; mais les Anglais ne croient point avoir acheté trop cher leurs lois, VOLT. Dict. phil. Parlement d'Anglet..• Que dis-je ? quelquefois sur une armée entière L'affreux orage roule une mer de poussière, DELILLE. Trois règnes, II.8° Fig. Mer se dit quelquefois pour signifier la vie, les affaires humaines.• Ma très chère bonne, je crois que votre enfant a besoin de ce qu'il vous demande ; la difficulté c'est de lui pouvoir donner ; votre état est une mer où je m'abîme, SÉV. 12 juill. 1690.• Pour moi, sur cette mer qu'ici-bas nous courons, Je songe à me pourvoir d'esquif et d'avirons, BOILEAU Ép. V.• Et de mille bienfaits sa lumière suivie Nous prête son fanal sur la mer de la vie, DELILLE. Trois règnes, IV.Il se dit aussi pour exprimer certains abîmes moraux.• Quand je regarde quelquefois en moi-même cette mer si vaste et si agitée, si j'ose parler de la sorte, des raisons et opinions humaines, BOSSUET 2e serm. Quinquagésime, 1.• Son âme tout entière est plongée dans une mer de tribulation et d'amertume, MASS. Carême, Passion..• Et découvrait au loin les célestes puissances Errantes sur les flots d'une mer de souffrances, BERNIS Relig. veng. I.• Perdu dans la mer immense de mes malheurs, je ne puis oublier les détails de mon premier naufrage, J. J. ROUSS. Confess. X..• Au lieu du repos dont j'avais besoin pour la raffermir [ma tête], je me trouve ici submergé dans des mers d'indignités et d'iniquités, au moment même où...., J. J. ROUSS. Lett. à du Peyrou, 27 sept. 1767.Il se dit encore de l'immensité de l'érudition, du savoir.• Pline servira bien à mon dessein ; les écrits de ce personnage sont une grande mer dans laquelle il fait bon pêcher, GUI PATIN Lett. t. II, p. 554.• Après cela, docteur, va pâlir sur la Bible, Va marquer les écueils de cette mer terrible, BOILEAU Sat. VIII.• La préface du Codex juris gentium diplomaticus est un morceau de génie, l'ouvrage est une mer d'érudition ; il parut en 1693, DIDER. Opin. des anc. phil. (leibnitzianisme)..9° Terme d'antiquité. Mer d'airain, énorme cuve dont les prêtres juifs se servaient dans leurs purifications.• Il fit [Achaz] aussi ôter la mer de dessus les boeufs d'airain qui la portaient, et il la mit sur le pavé du temple qui était de pierre, SACI Bible, Rois, IV, XVI, 17.• Il [Hiram] fit aussi une mer de fonte, de dix coudées d'un bord jusqu'à l'autre, qui était toute ronde, SACI ib. III, VII, 23.• L'immense bassin que Salomon fit couler en métal pour le temple de Jérusalem, et que l'on a désigné sous le nom de mer d'airain, avait 10 coudées de diamètre et 5 de profondeur.... c'était, au dire de l'historien Josèphe, une demi-sphère creuse, SAIGEY Métrologie, p. 20, édit. 1834.10° Jarre ou autre vase de terre dans lequel est une certaine quantité de vin, qu'on remplace, qu'on renouvelle à mesure qu'on y puise. Il a une mer de vin de Chypre.11° Mer agitée, sorte de décoration de théâtre qui représente une mer agitée.• La mer agitée est composée de longues lanternes angulaires de toile ou de carton bleu, qu'on enfile à dos broches parallèles, et qu'on fait tourner par des polissons, J. J. ROUSS. Hél. II, 23.12°• Mer de lait, dite par les Hollandais mer d'hiver, mer représentant l'aspect de campagnes couvertes de neige ; ce phénomène paraît dû à la présence d'animalcules si petits que l'oeil, ne pouvant en séparer la clarté individuelle, subit une impression analogue à celle de la lumière stellaire de la voie lactée, TRÉBUCHET Comptes rendus, Acad. des sc. t. LI, p. 1010.13° Mer de glace, nom d'un grand glacier dans la région du Mont-Blanc.14° S'est dit de différentes taches du disque de la lune, où l'on a cru voir des mers glacées.Le mot mer, au singulier, se prend dans deux sens : 1° l'amas des eaux qui environne la terre ; 2° dans une acception plus restreinte, une certaine étendue d'eau salée contiguë aux côtes et portant un nom particulier comme la mer d'Irlande, la mer du Nord, etc. Dans cette signification mer a un pluriel : les deux mers ; les mers qui baignent la Sicile etc. ; mais M. Jullien remarque que les mers a aussi un emploi où il n'est le pluriel de mer ni dans l'un ni dans l'autre sens : " Ce pluriel, dit-il, ne représente pas du tout une réunion de choses semblables dont chacune soit une mer. Une particularité analogue se remarque dans airs, cieux, eaux. Il n'est pas difficile de voir que, pour ces mots, la pluralité s'offre toujours comme indistincte et indivise ; il en résulte dans la signification de ce nombre une sorte de confusion et d'obscurité favorable à la poésie et à la haute éloquence, qui fait que ces expressions les cieux, les eaux, les mers, etc. sont plus poétiques que le singulier, quoiqu'elles signifient exactement la même chose. "XIe s.• E ço lur dist, cum s'en fuït par mer, E cum il fut en Alsis la citet, St-Alexis, LXXVII.• Tres qu'en la mer [il] conquist la tere altaigne, Ch. de Rol. I.XIIe s.• En mer se mettent, n'i ont plus demoré, Roncis. 118.• Qui tint Amiens et Bologne sor mer, ib. 180.• Sire [il] fu de Illande, une terre où mers clot, Sax. XVII.• Aussi com en là mer est puissanz la balaine, ib. XXX.• Or le [mon coeur] doinst Diex à droit port arriver, Car il s'est mis en mer sans aviron, Couci, X.XIIIe s.• Il n'[y] a si bele fame deça ne delà mer, Berte, III.• La mer a esté grosse, et la tempeste chaça nos vaissiaus sur terre, et furent brisié, H. DE VALENC. XXXII.• À tant est Flore en haute mer, Fl. et Bl. 1386.XVe s.• Là monterent-ils en mer, FROISS. I, I, 51.• La mer homme n'attent, LEROUX DE LINCY Prov. t I, p. 78.XVIe s.• Que diray plus ? certes un tel aimer, C'est Dedalus volettant sur la mer, MAROT I, 193.• La mer de Medoc est nommée mer sauvage, par ce qu'il y a très souvent des orages violens, Vie du duc d'Épernon, p. 221, dans LACURNE.• Goutte à goutte la mer s'esgoutte, COTGRAVE .• Les rivieres retournent en la mer, COTGRAVE .• Qui veut apprendre à prier aille souvent sur la mer, COTGRAVE .Bourguig. mar ; provenç. et espagn. mar ; ital. mare ; du lat. mare ; comparez le celtique mair, mor ; le slave more ; l'allem. Meer ; goth. marei. Corssen et Curtius rapprochent mare du sanscrit maru, le désert, c'est-à-dire l'élément mort, stérile.SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIREMER. Ajoutez :16° Terme d'antiquité.• Mer Érechthéide, nom donné à un chasma (voy. ce mot au Supplément), qui se trouvait dans l'acropole d'Athènes, Rev. crit. 31 mars 1877, p. 203.(Érechthéide est dérivé d'Érechthée, en grec, un des surnoms de Neptune, et aussi nom d'un des héros primitifs de l'Attique.)
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.