dépit

dépit
dépit 1.
(dé-pi ; le t se lie d'ordinaire : le dépi-t amoureux ; au pluriel, l's se lie : des dé-piz amoureux) s. m.
   Chagrin mêlé d'un peu de colère.
   M'ayant fait oublier tous les dépits qu'elle m'a faits, je ne me souviens plus que des excellentes qualités qui la rendent aimable et admirable, VOIT. Lett. 23.
   Je crève de dépit, MOL. Préc. 17.
   J'en ai dans le coeur davantage ; Et, pour exprimer tout, ce coeur a du dépit De ne point trouver de langage, MOL. Amph. II, 6.
   De grand dépit Richard elle interrompt, LA FONT. Rich..
   Les victoires de Maurice firent mourir de dépit Chosroès, BOSSUET Hist. I, 11.
   Tous ces présents, Albine, irritent mon dépit, RAC. Brit. I, 1.
   Quoi qu'il en soit, Néron, d'aussi loin qu'il me vit, Laissa sur son visage éclater son dépit, RAC. ib..
   Crois que dans son dépit mon coeur est endurci, RAC. Androm. II, 1.
   Que vous importe, ô dieux, sa joie ou son dépit ?, RAC. ib. II, 5.
   Entre amants tel dépit n'est qu'une bagatelle ; Je veux dès aujourd'hui vous remettre avec elle, REGNARD Ménechmes, IV, 4.
   Ces paroles le remplissaient de dépit contre Mentor, FÉN. Tél. VII.
   Il laissa tomber sa lyre de dépit, FÉN. ib. VIII.
   Les divisions, les dégoûts, les dépits ne peuvent y avoir aucune entrée, FÉN. ib. XIV.
   Pour faire dépit au maître des choses, VOLT. Taur. 3.
   Croyez-moi, ces dépits que l'orgueil vous déguise, Sont partout dangereux et surtout à Venise, DUCIS Othello, I, 6.
   Se couper le nez pour faire dépit à son voisin, se nuire pour une vengeance qu'on n'obtient même pas.
   On dit qu'une chose croît par dépit, quand elle croît sans qu'on en prenne aucun soin.
   En dépit de, loc. prép. Malgré.
   Adieu ; fais lire au prince, en dépit de l'envie, Pour son instruction, l'histoire de ta vie, CORN. Cid, I, 3.
   Mais lorsqu'en dépit d'eux on en a voulu d'autres...., CORN. Hor. III, 5.
   Des cheveux assez, pour ne point porter perruque ; j'en ai beaucoup de blancs, en dépit du proverbe, SCARRON Portrait de Scarron fait par lui-même.
   Je vous l'avais prédit qu'en dépit de la Grèce De votre sort encor vous seriez la maîtresse, RAC. Androm. III, 8.
   Fig. et familièrement. Faire une chose en dépit du sens commun, du bon sens, etc. la faire très mal.
   Tes écrits, il est vrai, sans art et languissants Semblent être formés en dépit du bon sens, BOILEAU Sat. II.
   Ils ont l'air d'être faits en dépit de l'art, DIDEROT Salon de 1767, Oeuvres, t. XV, p. 5, dans POUGENS.
   En dépit qu'on en ait, c'est-à-dire quoi qu'on fasse.
   Quelquefois en dépit que j'en aie, DESC. Médit. 2.
   J'ai caché si longtemps l'ennui qui me dévore Qu'en dépit que j'en aie enfin il s'évapore, CORN. Pulch. II, 1.
   J'ai beau voir ses défauts et j'ai beau l'en blâmer, En dépit qu'on en ait, elle se fait aimer, MOL. Mis. I, 1.
   Il faut que je lui sois fidèle en dépit que j'en aie, MOL. D. Juan, I, 1.
   Je me sens pour vous de la tendresse en dépit que j'en aie, MOL. l'Av. III, 5.
   Ah ! vous y resterez, en dépit qu'on en ait, COLLIN D'HARLEV. Vieux célib. IV, 10.
   1. Voltaire remarque au sujet de ces vers de Corneille : Et je m'ose assurer qu'en dépit de mon crime, Mon sang leur servira d'assez pure victime, Cinna, IV, 7 : " On ne peut pas dire en dépit de mon crime, comme on dit malgré mon crime, parce qu'un crime n'a point de dépit. On dit bien en dépit de ma haine, de mon amour, parce que les passions se personnifient. " Cette remarque n'est pas fondée ; car elle atteindrait aussi malgré, attendu qu'un crime n'a ni gré ni mauvais gré.
   2. Il faut appeler l'attention sur la locution : en dépit qu'il en ait. La construction ne peut s'en faire ; seulement on comprend comment elle est née ; la locution correcte serait : dépit qu'il en ait, comme malgré qu'il en ait ; c'est-à-dire : quelque mal gré qu'il en ait ; tandis qu'il est impossible de dire : quelque en dépit qu'il en ait. Mais là il y a eu confusion et fusion avec la locution en dépit ; d'où est résultée la locution en dépit qu'il en ait. Toutefois, venant du XVIe siècle, comme on peut voir par l'historique, elle a été consacrée par les meilleurs écrivains du XVIIe siècle.
   XIIe s.
   Et si unt Adonie sun fil à rei eslit ; Abiathar le volt [voulut] sacrer al Deu despit, Th. le mart. 27.
   XIIIe s.
   Or ne pui je pas dire que m'eüst en despit Li bons preudoms hermites..., Berte, LIII.
   Si ne tenez pas en despit Les genz por lor petit d'avoir, Lai du conseil.
   Li fes [le fait] touquoit [touchait] à despit au segneur, BEAUMANOIR XXX, 20.
   Il me demanda se je lavoie les piés aus poures le jeudy absolu ; et je li respondi que nanin, que il ne me sembloit pas bien ; et il me dit que je ne le devoie avoir en despit ; car Dieu l'avoit fait, JOINV. 293.
   XVe s.
   Et tantost messire Robert Canolle fit ouvrir une poterne hors du chastel, et sur les fossés il fit descoler, au despit des François, tous les prisonniers qu'il tenoit, FROISS. II, III, 8.
   Et trouverent cinq povres prisonniers anglois que les Escots avoient liés tous nuds aux arbres, par despit, et deux qui avoient les jambes brisées, FROISS. I, I, 44.
   Messire Jean de Hainaut, qui lui avoit fait, si comme il estoit informê, plusieurs despits, FROISS. I, I, 98.
   XVIe s.
   Je la cognois, c'est une noire, Noire faite en despit des cieux, MAROT III, 94.
   En despit qu'ils en ayent, il faudra qu'ils confessent...., CALV. Instit. 1131.
   Ils se tuerent, en despit de son humanité, MONT. II, 37.
   Dedans peu de jours il eust contrainct les Lacedaemoniens de venir à la bataille contre eulx, en despit qu'ils en eussent, AMYOT Alc. 76.
   Et sembloit qu'ils le feist par despit d'eulx tant seulement, et pour leur desplaire expressement, AMYOT Alcib. et Cor. comp. 5.
   Son cheval se tourna et l'emporta en arriere en despit qu'il en eust, AMYOT Marcell. 8.
   Ter. Culeo, pour leur faire despit, persuada au peuple de le commander ainsi, AMYOT Flamin. 35.
   Bourguig. dépey ; norm. dépit, mépris ; provenç. despieg, despieyt ; anc. catal. despeit ; espagn. despecho ; ital. dispetto ; du latin despectus, de despicere, regarder de haut en bas, mépriser, de la préposition de, et spicere, regarder (voy. spectre).
SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
1. DÉPIT. - REM. Ajoutez :
   3. On a dit : en dépit que, pour : par dépit de ce que.
   Sa mère m'a autrefois dit pis que pendre de lui, en dépit qu'il traitait si mal sa jeune femme, GUI PATIN Lettres, t. II, p. 291.
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dépit, ite 2.
(dé-pi, pi-t') adj.
Qui a du dépit, de la mauvaise humeur.
   Nérie honteuse et dépite, LA FONT. Coupe..
   Inusité présentement.
   XIIIe s.
   Sachez qu'ele en a fait que mauvaise et despite, Berte, 54.
   Car poure chose, où qu'ele soit, Est adès boutée et despite, la Rose, 459.
   XVIe s.
   S'il advenoit qu'il feust despit, courroussé, fasché ou marry...., RAB. Garg. I, 7.
   On la peut nommer despite, vindicative, opiniatre et muable, MARG. Nouv. 15.
   Ils sont allez feindre cette sotte image [de la philosophie] triste, querelleuse, despite, mineuse...., MONT. I, 176.
   Je suis despit de quoy nostre vie s'embesogne toute à cela, MONT. I, 193.
   Les Corinthiens furent bien despits de se voir en ceste sorte abusez et mocquez par Icetes, AMYOT Timol. 13.
   Dépit 1.

Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. . 1872-1877.

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