- moeurs
- (meur ; plusieurs prononcent meurs', en faisant sentir l's, ce n'est pas une bonne prononciation ; l's ne se lie pas : des meur honnêtes ; cependant quelques-uns la lient : des meur-z honnêtes) s. f. pl.1° Habitudes considérées par rapport au bien ou au mal dans la conduite de la vie. De mauvaises moeurs.• La France devant [avant] ces orages, Pleine de moeurs et de courages Qu'on ne pouvait assez louer, MALH. II, 4.• Enfin chez les chrétiens les moeurs sont innocentes, CORN. Poly. IV, 6.• Ô temps, ô moeurs ! j'ai beau crier, Tout le monde se fait payer, LA FONT. Fabl. XII, 6.• La réformation des moeurs, PASC. Pens. XXIII, 44, édit. HAVET..• La science des choses extérieures ne me consolera pas de l'ignorance de la morale au temps d'affliction ; mais la science des moeurs me consolera toujours de l'ignorance des sciences extérieures, PASC. ib. VI, 41.• L'Église fera une assemblée d'hommes dont les moeurs extérieures soient si pures, qu'elles confondent les moeurs des païens, PASC. Pens. XXIV, 62.• Jouissez de votre dépense, sans en faire une plus grande, qui serait superflue et contre les bonnes moeurs dont nous faisons profession, SÉV. 13 juin 1685.• D'où lui viennent [à l'esprit] ces règles immuables qui dirigent le raisonnement, qui forment les moeurs, par lesquelles il découvre les proportions secrètes des figures et des monuments ?, BOSSUET Connaiss. IV, 9.• Vous ne l'avez pas [la foi].... c'est pourquoi tout tombe en ruine dans vos moeurs, BOSSUET Mar.-Thér..• Nos fausses pénitences qui ne sont suivies d'aucun changement de nos moeurs, BOSSUET ib..• Ce sont de jeunes gens dont les moeurs sont assez réglées, LOURD. Pensées, t. II, p. 370.• Ses moeurs avaient toujours été telles que les forment un grand attachement à l'étude et l'heureuse privation du commerce du monde, FONTEN. Rolle..• Il est vrai que ce vol [du calcul des infiniment petits] ne peut avoir été que très subtil, et qu'il ne faudrait pas d'autre preuve d'un grand génie que de l'avoir fait ; mais enfin il vaut mieux ne l'avoir pas fait, et par rapport au génie, et par rapport aux moeurs, FONTEN. Leibnitz..• Les moeurs publiques devenues des scandales publics, MASS. Carême, Motifs de conv..• Il ne faut pas être étonné, si les législateurs de Lacédémone et de la Chine confondirent les lois, les moeurs et les manières ; c'est que les moeurs représentent les lois, et les manières représentent les moeurs, MONTESQ. Esp. XIX, 16.• Il y a cette différence entre les lois et les moeurs, que les lois règlent plus les actions du citoyen, et que les moeurs règlent plus les actions de l'homme, MONTESQ. Esp. XIX, 16.• Il [Brutus] changera de moeurs en changeant de fortune, VOLT. M. de Cés. I, 1.• Caton forma tes moeurs, Caton seul est ton père, VOLT. Mort de Cés. III, 2.• Gouvernant sans conquête, et régnant par les moeurs, VOLT. Orphel. IV, 2.• Avant que de parler de moeurs, commençons par déterminer les différentes idées qu'on attache à ce terme ; car, loin d'avoir des synonymes, il admet plusieurs acceptions : dans la plus générale, il signifie les habitudes naturelles ou acquises pour le bien et le mal, DUCLOS Consid. moeurs, ch. 1.• Les moeurs, en parlant d'un particulier et de sa vie privée, ne signifient autre chose que la pratique des vertus morales, ou le dérèglement de la conduite, suivant que ce terme est pris en bien ou en mal, DUCLOS ib..• Je désigne ces actions de l'être intelligent par les termes d'actions morales ou, plus brièvement, par celui de moeurs, pour les distinguer des actions purement machinales et de celles qui n'ont pas une liaison sensible avec la pratique ou le bonheur, BONNET Oeuv. mêlées, t. XVIII, p. 325, dans POUGENS.Certificat de vie et de moeurs, de vie et moeurs, de bonne vie et moeurs, certificat attestant qu'il n'y a rien à reprocher à une telle personne.Faire information de vie et moeurs, se dit de l'autorité judiciaire ou autre qui prend des informations sur la conduite d'une personne.2° Absolument. Moeurs se dit pour bonnes moeurs. N'avoir point de moeurs, en avoir de mauvaises. Un homme, une femme sans moeurs.• Les moeurs sans épithète s'entendent toujours des bonnes moeurs, DUCLOS Consid. moeurs, ch. 1.• La sainteté, la paix, les moeurs vont disparaître, VOLT. Olymp. II, 5.• On n'est rien sans les moeurs, VOLT. Pélopides, II, 2.• Pesez, monsieur, ce mot de moeurs ; j'ose vous dire que ni ma famille, ni mes amis, ni la famille des Calas, ni celle des Sirven, ni la petite-fille du grand Corneille ne m'accuseront de manquer de moeurs, VOLT. Lett. Dorat, 28 janv. 1767.Cet homme a des moeurs, c'est-à-dire il est sage, de conduite régulière.Dans un sens plus restreint, avoir des moeurs, être d'une conduite régulière par rapport aux femmes.• Je connaîtrais un homme qui a des moeurs entre cent mille débauchés, J. J. ROUSS. Ém. IV.• Le vice auprès des moeurs n'est jamais sans effroi, DUCIS Abufar, I, 2.3° Il se dit de la manière de vivre, des usages, coutumes, préjugés, qui varient chez les différents peuples et dans les différents siècles. Autres temps, autres moeurs.• Il est bon de savoir quelque chose des moeurs de divers peuples, afin de juger des nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule et contre raison, ainsi qu'ont coutume de faire ceux qui n'ont rien vu, DESC. Méth. I, 8.• La corruption de la raison paraît par tant de différentes et extravagantes moeurs, PASC. Pens. XXV, 90.• Cette maxime, la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les moeurs de son pays, PASC. ib. III, 8.• Des siècles, des pays étudiez les moeurs, BOILEAU Art p. III.• Les moeurs, plus que les lois, font et caractérisent une nation, DUCLOS Oeuvr. t. VI, p. 59.• Les amateurs de l'antiquité, ceux qui se plaisent à comparer les génies des nations, verront avec plaisir combien les moeurs, les usages du temps de Mahomet, d'Abubeker, d'Omar ressemblaient aux moeurs antiques dont Homère a été le peintre fidèle, VOLT. Moeurs, 6.• Aux moeurs de l'Occident laissons cette bassesse, VOLT. Zaïre, III, 7.• Étudiez nos moeurs avant de les blâmer ; Ces moeurs sont vos devoirs : il faut s'y conformer, VOLT. Alz. VI, 2.• Les moeurs consistent dans la conformité d'un grand nombre de volontés, DIDER. Opin. des anc. philos. (Thomasius)..Cela est, n'est pas dans les moeurs de telle nation, c'est-à-dire cela est, n'est pas conforme aux usages de telle nation.• Cette intempérance qui n'est plus même de nos moeurs, MASS. Avent, Noël..4° Les habitudes, les inclinations des individus. Cet homme a des moeurs simples, des moeurs douces.• Il était prêtre par son zèle, par la gravité de ses moeurs, par l'innocence de sa vie, BOSSUET Bourgoing..• Chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses moeurs, BOILEAU Art p. III.• Que votre âme et vos moeurs, peintes dans vos ouvrages, N'offrent jamais de vous que de nobles images, BOILEAU ib. IV.5° Les moeurs des animaux, les habitudes naturelles des différentes espèces d'animaux, les habitudes qui résultent de leur instinct.• Si un observateur aussi exact que M. de Manoncour ne nous avait pas fait connaître les moeurs de cet oiseau, il ne serait guère possible de le reconnaître à la simple inspection pour un fourmilier, BUFF. Ois. t. VIII, p. 231.6° Terme de poétique. Ce qui est conforme aux habitudes morales des pays, des lieux, des personnages qui figurent dans un poëme, dans une pièce de théâtre, etc. (on dit aujourd'hui plus souvent couleur locale). Les moeurs sont bien gardées dans cette tragédie, dans ce poëme. Vous savez en quel état se trouvait la scène française, lorsqu'il [Corneille] commença à travailler.... les auteurs aussi ignorants que les spectateurs, la plupart des sujets extravagants et dénués de vraisemblance, point de moeurs, point de caractères, RAC., Disc. à l'Acad. franç. On appellerait fausses les moeurs d'un poëme dans lequel un auteur aurait transféré aux Romains les usages, les coutumes, le culte religieux et tous les préjugés des Grecs, Mercure, 1717, janv. p. 31.• Cette pièce de Thompson, qui devait nous transporter dans les moeurs poétiques du moyen âge, qui devait montrer un roi d'Angleterre à la croisade, sous les murs de Ptolémaïs...., VILLEMAIN Littér. Tabl. du XVIIIe siècle, 2e partie, 2e leçon..Terme de peinture. Le costume, les usages des différents temps, des différents lieux. Les moeurs sont bien observées dans ce tableau.7° Terme de rhétorique. La partie de l'éloquence qui a pour objet de gagner la confiance des auditeurs.• Dans la rhétorique, la probité, la modestie, la bienveillance et la prudence, voilà les moeurs que l'orateur doit constamment montrer, et ce sont là les moeurs considérées dans l'orateur ; mais on doit les considérer aussi dans l'auditeur : si l'art prescrit à l'orateur de connaître les moeurs de ceux à qui il parle, c'est afin de proportionner son discours à leur intelligence, à leurs sentiments, de remuer les passions qui leur sont le plus familières, BATTEUX Éléments de littérature..Terme de musique. Partie de la musique grecque qui en fixait les convenances et l'utilité.PROVERBESLes honneurs changent les moeurs, c'est-à-dire un homme dont la fortune s'élève se méconnaît et néglige ses amis qui sont demeurés dans la pauvreté.• Tienne qui voudra pour sentence Que les honneurs changent les moeurs ; Je crois plutôt que les honneurs Mettent les moeurs en évidence, PONS (de Verdun), Réflexion..Une fille suit les moeurs de sa mère, c'est-à-dire l'exemple de sa mère la rend sage ou la pousse au désordre.XIIe s.• La grace Deu vus fist enuindre e coruner ; Pur ce vous devez mult constraindre e guverner, E tute nostre vie en buens murs afermer, Que vus puissiez as autres buens essamples duner, Th. le mart. 78.• Cil fu bons emperere ; Deus li duna sa grace ; Saint Iglise l'eshauce ; il voit Deu face à face ; Li reis devreit ensivre et ses mors et sa trace, ib. 91.XIIIe s.• Humles et frans, de boines mours, Très gentix et de grans honors, Amadas et Ydoine, ms. 6987.• Convenence qui est fete contre bonnes meurs.... ne sunt pas à tenir, BEAUMANOIR XXXIV, 24.• Qui porroit toutes ces mours traire El cuer à un riche jone home, Hon en feroit bien un preudome, RUTEB. 52.• Honors muent et varient les mors, Prov. ruraus et vulgaus.• Tiex [telles] mors avoir doivent et seulent [ont coutume], Qui parfetement amer veulent, la Rose, V. 4717.XIVe s.• Amisté qui est selon bonnes meurs est amisté selon soy et est permanente et durable, ORESME Eth. 258.• Il congnoist les meurs de son ami et scet en queles choses il se delette, ORESME ib. 290.• Quant l'en veult user de astrologie pour avoir congnoissance des choses avenir, ce est contre philosophie et aussi contre bonnes meurs, le Songe du vergier, I, 186.XVe s.• S'en soy meismes [il] ne povoit refrener Les meurs mauvais de sa condicion, E. DESCH. Des vertus nécess. au prince..XVIe s.• Les Grecs transporterent ce nom [barbare] aux meurs brutaux et cruelz, appelant toutes nations hors la Grece, barbares, DU BELLAY Deffense de la langue franç. I, 1.Provenç. mor, s. f. ; du lat. mos, moris, mores, habitude, moeurs, qui se rattache au sanscrit mâ, mesurer, faire.
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.