- merci
- (mèr-si) s. f. sans pluriel.1° Grâce, faveur, récompense ; usité seulement en ce sens dans cette locution du style des romans de chevalerie : Don d'amoureuse merci, les dernières faveurs de l'amour.• Conclusion, que Renaud sur la place Obtint le don d'amoureuse merci, LA FONT. Orais..2° Il est aussi usité avec le sens de grâce, faveur, dans la locution : Dieu merci, c'est-à-dire par la merci, la grâce de Dieu.• Quelque rare que soit le mérite des belles, Je pense, Dieu merci, qu'on vaut son prix comme elles, MOL. Mis. III, 1.• Dieu merci, tout alla à souhait, SÉV. 295.• Dieu merci, les ennemis de la raison sont aussi bêtes que fanatiques, D'ALEMB. Lett. au roi de Pr. 3 juill. 1778.Dans cette locution merci est féminin ; la locution complète est : la Dieu merci, ou la merci Dieu, comme on peut voir à l'historique ; Dieu y est régime : merci de Dieu, comme dans hôtel-Dieu, c'est-à-dire hôtel de Dieu. Cela signifie proprement non pas remerciement à Dieu, mais grâce, faveur de Dieu.Une merci de Dieu, poignard qu'on a aussi nommé miséricorde.Merci de ma vie, merci de moi, exclamations populaires qui annoncent l'impatience, la colère.• Merci de moi, lui dit la mère, Tu mangeras mon fils ? l'ai-je fait à dessein Qu'il assouvisse un jour ta faim ?, LA FONT. Fabl. IV, 16.• Hé ! merci de ma vie ! il en irait bien mieux, Si tout se gouvernait par ses ordres pieux, MOL. Tart. I, 1.• Merci de ma vie, le premier qui avance, je lui donnerai de ces deux épées dans le ventre, DANCOURT Chev. à la mode, V, 3.• Eh ! oui, merci de ma vie, je m'y suis intéressée, elle nous coûte assez pour cela, LE SAGE Turcaret, I, 9.3° Par une extension de sens qui est aussi dans grâce (comparez faire grâce, demander grâce), sentiment par lequel on fait aux autres la faveur de les épargner. Un homme sans merci. Dans cette circonstance, n'attendez aucune merci.• Selon d'anciennes coutumes féodales, le peuple était réputé corvéable et taillable à merci et miséricorde, Dict. de l'Acad..• L'exemple de leur race à jamais abolie, Devait sous ta merci tes rebelles ployer, MALH. II, 12.Être, se mettre à la merci de quelqu'un, être, se mettre à sa discrétion, c'est-à-dire dans une situation telle qu'il fera grâce, qu'il donnera merci, s'il veut.• Je me rends donc sans résistance à la merci d'elle et du sort, MALH. V, 18.• Ce public ennemi, cette peste du monde [l'Amour].... Se trouve à la merci de nos petites mains, MALH. VI, 5.• Ce même Antiochus, se cachant à ma vue, Me laisse à la merci d'une foule inconnue, RAC. Bérén. I, 4.• Ils n'ont pas voulu livrer tant de peuples à la merci d'un homme fougueux, FÉN. Tél. XIX..• Les innocents sont à la merci des envieux, FÉN. ib. XX..• Me voilà, grâce à vous, à la merci de mes gens, DIDEROT Père de famille, III, 3.Par extension.• Si j'étais quelque enfant épargné des tempêtes, Livré dans un désert à la merci des bêtes, CORN. D. Sanche, IV, 3.• Il espère vous voir encore à la merci des voleurs et des loups, et de tout ce que Marion espérait dans sa jolie abbaye, SÉV. 444.Fig. À la merci de, en parlant des choses qui nous dominent et dont nous sommes le jouet.• Ma nef est portée à la triste merci de la vague indomptée, RÉGNIER Sat. VII.• M. d'Aumont a envoyé un courrier au roi, lui dire qu'on avait vu des vaisseaux à la merci des vents, et quelques marques de débris et de naufrage, SÉV. 478.• Sa femme [de M. de Sévigné] est bien fâchée que vous laissiez vos beaux orangers d'Avignon à la merci de la bise, SÉV. 564.• Je vous plains à l'excès d'être si longtemps à la merci de votre imagination, qui est la plus cruelle et la plus dévorante compagnie que vous puissiez avoir, SÉV. 1er nov. 1688.• Voilà les horreurs de la séparation ; on est à la merci de toutes ces pensées ; on peut croire sans folie que tout ce qui est possible peut arriver, SÉV. 6 mai 1671.• Le bonheur de l'impie est toujours agité ; Il erre à la merci de sa propre inconstance, RAC. Esth. II, 9.• Seriez-vous insensible au malheur d'un fils qui, cherchant son père à la merci des vents et des flots, a vu briser son navire contre vos rochers ?, FÉN. Tél. I.Crier merci, demander merci, demander la merci, la faveur de celui que l'on supplie, demander d'être épargné.• Et du peuple effrayé le plus pressant souci Est de sauver sa vie en lui criant merci, TRISTAN Panthée, II, 3.• Monsieur, vous qui venez de me parler ainsi, Ne demandez jamais ni grâce ni merci, V. HUGO Hernani, II, 3.Prendre à merci, recevoir à merci, faire grâce.• Et par quelle raison dois-je prendre à merci Ce peuple qui toujours fut de crimes noirci ?, MAIRET Mort d'Asdrub. I, 1.4° L'ordre de la Merci, de Notre-Dame de la Merci (avec une majuscule), ordre religieux institué pour racheter les captifs des mains des infidèles. L'ordre de la Merci fut institué en 1223 par saint Pierre Nolasque, sous la règle de saint Augustin.5° S. m. Un grand merci, un remerciement.• Goûtez bien cela, il est de Léandre, et il ne me coûte qu'un grand merci, LA BRUY. III.Par forme de plainte. Voilà le grand merci que j'en ai, c'est-à-dire voilà la reconnaissance qu'on me témoigne pour les services que j'ai rendus.• Voici le grand merci que j'aurai de mes peines, RÉGNIER Sat. XII.Dire merci, remercier. Il ne m'en a pas seulement dit merci.Absolument, merci, grand merci, c'est-à-dire je vous rends grâce. Vous me donnez cela, merci, grand merci.• Le dauphin dit : bien grand merci, LA FONT. Fabl. IV, 7.• Bien grand merci du soin, LA FONT. Mandr..Merci, grand merci, se dit aussi pour refuser.• Renaud dit à Damon : grand merci de la coupe, LA FONT. Coupe..Merci, isolé de grand, s'emploie toujours sans article.On n'a qu'à parcourir l'historique et à se référer à l'étymologie, et l'on verra que merci est féminin d'origine et a toujours été employé au féminin. S'il est devenu masculin dans grand merci, c'est que, dans l'ancienne langue, grand était aussi bien féminin que masculin, et grand merci était régulier. Mais au XVIe siècle on a cru que grand était au masculin, et cela a entraîné à dire un grand merci.MERCI, MISÉRICORDE. Dans miséricorde il y a l'idée de misère ; c'est la misère qui touche notre coeur. Merci ne renferme aucune idée de ce genre ; il signifie proprement faveur, et indique la faveur que nous faisons en épargnant. C'est pour cela qu'on dit figurément être à la merci des flots, et non à la miséricorde des flots.Xe s.• Qued avuisset de nos Christus mercit, Eulalie.XIe s.• Par le sien Deu, qu'il ait mercit de moi, Ch. de Rol. XI.• Clamez vos coulpes, si priez Deu merci, ib. LXXXVII.• Ce camp [champ de bataille] est vostre, mercit Deu, et le mien, ib. CLIX.XIIe s.• Sire, dist-ele, grant merci [je] vous en rent, Ronc. 172.• Vous, dame, doit-il membrer [souvenir], Qu'en gentil cuer [coeur] doit-on trover merci, Couci, I.• V Et quant je plus merci vous doi crier, ib. X.XIIIe s.• Dame, lonc temps [j'] ai fait vostre service, La merci Dieu ; qu'or n'en ai mais talent [volonté], QUESNES Romanc. p. 90.• Seigneur, en tel maniere vuellent cil de la cité rendre la ville en ma merci, sauves leur vies, VILLEH. XLVIII.• Toutes les gens qui avoec lui estoient par où li empereres Baudoins passa, vindrent à merci, VILLEH. CXV.• Se il le fesoit, il seroit en la merci le roi, de cors et d'avoir, Liv. des mét. 94.• Il n'est nule [chose] qui si tost mete à merci dame ou damoisele, la Rose, 1836.• Sans faille, voirs est que li Diex D'amors trois dons, soe merci, Me donna...., ib. 4125.• Sire, fist le preudomme, vous me faites grant honneur, la vostre merci, JOINV. 216.XVe s.• Et à votre povre peuple qui crie merci.... veuillez donner grace et remission, FROISS. II, III, 18.• Et quand ledit messire Guillaume peut parler, il dit : Gentil et noble roy, cent mille mercis du grant honneur que vous me faites, FROISS. I, I, 47.• Ledit comte Derby, qui fut moult noble et très gentil de coeur, repondit : Qui merci prie, merci doit avoir, FROISS. ib. I, I, 221.XVIe s.• Proprement merci est accorder la grace qu'on demande, MARG. Nouv. LVI.• On leur pensoit porter les accidens des estats, mais ils les avoient sceus par un Walon qui quelques jours auparavant, à la merci de trente harquebusades, s'estoit jetté dans le fossé, D'AUB. Hist. III, 159.• Mes beaux peres religieux, Vous disnez pour un grammercy, MAROT III, 66.• Rends à Plutarque, o Grec, un grand-mercy, MAROT III, 198.• Il avoit esté present quand ilz furent exposez à la mercy de la fortune, AMYOT Rom. 10.• Le meilleur de ses plus glorieux actes estoit, ne s'estre jamais sans mercy vengé d'aucun sien ennemy, AMYOT Péric. 74.• Le peuple romain leur devoit bien le grand mercy de beaucoup de richesses, de despouilles, etc. qu'ilz luy avoient acquises, AMYOT Cicér. 26.• Dont plus que jamais je loue le createur, redoublant les mercis, comme il nous a redoublé nostre felicité, MARG. Lett. XXXIV.• Quel appetit ne se rebuteroit à veoir trois cents femmes à sa mercy ?, MONT. I, 332.• Le cerf nous demande mercy par ses larmes, MONT. II, 131.• Il se trouva riche, mercy à cettre trafique, MONT. III, 266.• Nous aultres ignorants estions perdus, si ce livre [le Plutarque d'Amyot] ne nous eust relevés du bourbier ; sa mercy, nous osons à cett'heure et parler et escrire, MONT. II, 41.• Quand les pitaux de village ont pris un loup, on emporte la teste par les paroisses circonvoisines pour en tirer du commun peuple quelques grandsmercis en oeufs, fromages ou autrement, PASQUIER l'Interprétation des institutes de Justinian, II, 21.Berry et bourg. marci ; provenç. merce, mercey ; esp. merced ; port. mercé ; ital. mercè ; du lat. mercedem, récompense, grâce, faveur. Merces, comme merx, se rattache à mereri (voy. marchand). Du sens de faveur, de grâce, on a passé à celui du sentiment qui fait faire faveur, faire grâce, épargner. Grand merci, c'est la grande faveur (que vous me faites), de là le sens de remercîment.SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIREMERCI. Ajoutez : - REM. On lit dans Régnier : Le bordeau qui.... rendit, Dieu merci ces fièvres amoureuses, Tant de galants pelés, Sat. VI. Cela signifie : grâce à ces fièvres amoureuses. Mais Régnier s'est mépris en employant cette locution. Dieu merci voulant dire grâce à Dieu, il n'y a plus lieu de donner un nouveau régime ; il aurait fallu mettre : Dieu merci et ces fièvres amoureuses.
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.