- régner
- (ré-gné ; au XVIe siècle, d'après Palsgrave, p. 61, et d'après Bèze, on prononçait rèner. La syllabe ré prend un accent grave quand la syllabe qui suit est muette : je règne, excepté au futur et au conditionnel : je régnerai) v. n.1° Gouverner un État à titre de souverain, de roi, de reine, d'empereur, d'électeur, de prince, de duc.• Le moyen qu'ont les rois de se faire bien obéir est de bien régner ; et le bien régner, à mon avis, ne consiste en aucune chose tant qu'en la distribution des charges aux personnes de mérite, MALH. Lettres, II, 5.• Jamais la piété ne peut accompagner Un coeur préoccupé du dessein de régner, TRISTAN M. de Chrispe. IV, 1.• Règne ; de crime en crime enfin te voilà roi, CORN. Rodog. V, 4.• Car c'est ne régner pas qu'être deux à régner, CORN. Pomp. I, 2.• On sent croître en régnant le désir de régner, MAIRET Solim. II, 2.• Le plus court chemin pour bien régner est de considérer ce qu'on approuve dans les autres princes, PERROT D'ABLANCOURT Tacite, Hist. I, 5.• Il [Jésus] n'a point donné d'invention [il n'a point été inventeur], il n'a point régné ; mais il a été humble, patient, saint, PASC. Pens. XVII, 1, éd. HAVET..• Adorez donc, ô grand roi, celui qui vous fait régner, qui vous fait vaincre...., BOSSUET Mar.-Thér..• Si elle eut de la joie de régner sur une grande nation, BOSSUET Reine d'Anglet..• Charles Ier, roi d'Angleterre, était juste, modéré, magnanime, très instruit de ses affaires et des moyens de régner, BOSSUET ib..• Qu'il règne ce héros, qu'il triomphe toujours ; Qu'avec lui soit toujours la paix ou la victoire ; Que le cours de ses ans dure autant que le cours De la Seine et de la Loire, RAC. Idylle sur la paix..• Veut-il [le prince] savoir le grand art de régner ? qu'il approche de lui l'honneur et la vertu, qu'il appelle le mérite personnel, MONTESQ. Esp. XII, 27.• On peut régner sur beaucoup d'États, et n'être pas un puissant prince, VOLT. Moeurs, 119.Fig.• Saint Louis conserve sa dignité même dans les fers, et règne sur les débris et sur les ruines de se fortune, FLÉCH. Panég. St Louis..Dans les gouvernements parlementaires, remplir les fonctions de roi, mais sans prétendre diriger le gouvernement, qui appartient aux ministres, expression directe de la volonté du parlement. Le roi règne et ne gouverne pas.Par extension et en plaisantant.• Après avoir reconnu ce principe, comme font la plupart des hommes d'esprit, qu'en ménage la femme règne et gouverne, CH. DE BERNARD la Chasse aux amants, § III.2° Il se dit de ceux qui tiennent le pouvoir souverain à un titre quelconque.• Si je réduis Pompée à chasser Émilie, Peut-il, Sylla régnant, regarder l'Italie ?, CORN. Sert. I, 3.3° Régner, se dit de Dieu.• Celui qui règne dans les cieux, et de qui relèvent tous les empires, BOSSUET Reine d'Anglet..4° Fig. Régner sur, commander à.• Madame, je suis reine, et dois régner sur moi, CORN. D. Sanche, I, 2.• Si quelque chose les empêche de régner sur nous, ces saintes et salutaires vérités [du christianisme], BOSSUET Duch. d'Orl..• Moi, régner ! moi ranger un État sous ma loi, Quand ma faible raison ne règne plus sur moi !, RAC. Phèdre, III, 1.Prévaloir.• Il m'adresse pour vous Ces mots où l'amitié règne sur le courroux, CORN. Rodog. V, 4.• Posons cette grande entreprise comme un devoir sacré qui doit régner sur tous les autres, J. J. ROUSS. Lett. à Mme .... 27 sept. 1766.• La dignité d'épouse et de mère régnait sur tous ses charmes, J. J. ROUSS. Hél. V, 2.5° Il se dit de la domination exercée par une personne puissante, ou par un État. Pendant que ce favori et ses créatures régnaient à la cour.• Mais si vous ne régnez [il s'agit des prétentions d'Agrippine], vous vous plaignez toujours, RAC. Brit. IV, 2.• Quand Venise aspirait à régner sur les eaux, DUCIS Othello, I, 7.Par extension. Le cygne règne sur les eaux.6° Régner dans le coeur, posséder l'affection.• Ne souhaite régner dans le coeur de personne ; Non plus ne fais régner personne dans le tien, CORN. Imit. II, 8.• Mais il [Assuérus] ne put si tôt en bannir la pensée, Vasthi régna longtemps dans son âme offensée, RAC. Esth. I, 1.• Il [le roi] règne dans tous les coeurs, FÉN. Tél. II.Il se dit de l'empire de l'amour.• Après tant de hauts faits, il m'est bien doux, seigneur, De voir encor mes yeux régner sur votre coeur, CORN. Nicom. I, 1.• Mais j'adore Plautine, et je règne en son âme, CORN. Oth. I, 2.• Vos yeux assez longtemps ont régné sur son âme, RAC. Andr. III, 4.7° Il se dit des choses dont on compare l'autorité, la domination à un règne.• Tous ses sentiments [du jeune marquis de Grignan] sont tout neufs, toutes ses paroles ont leur force ; la vérité règne dans tout ce qu'il dit, SÉV. 4 janv. 1690.• Il ne faut pas permettre à l'homme de se mépriser tout entier, de peur que, croyant avec les impies que notre vie n'est qu'un jeu où règne le hasard, il ne marche sans règle et sans conduite au gré de ses aveugles désirs, BOSSUET Duch. d'Orl..• Ces lois qu'il [Charles II, d'Angleterre] a protégées, l'ont rétabli presque toutes seules ; il règne paisible et glorieux sur le trône de ses ancêtres, et fait régner avec lui la justice, la sagesse et la clémence, BOSSUET Reine d'Anglet..• Songeons qu'il [Louis XIV] ne l'établit [la religion] partout au dehors, que parce qu'il la fait régner au dedans de lui-même et au milieu de son coeur, BOSSUET Mar.-Thér..• La noblesse de ses expressions [de Louis XIV] vient de celle de ses sentiments ; et ses paroles précises sont l'image de la justesse qui règne dans ses pensées, BOSSUET ib..• La sagesse et l'ordre régnaient partout dans la maison de Marie-Thérèse, FLÉCH. Mar.-Thér..• Ici règnent les armes, Nous ne connaissons point les prières, les larmes, VOLT. Orphel. V, 2.• Quand on voit un pape, un archevêque, un prêtre méditer un tel crime [l'assassinat des Médicis], et choisir pour l'exécution le moment où leur Dieu se montre dans le temple, on ne peut douter de l'athéisme qui régnait alors, VOLT. Moeurs, 105.• L'univers, disiez-vous, au mensonge est livré ; La calomnie y règne, VOLT. Tancr. IV, 2.• Durant tout le temps que la philosophie d'Aristote a régné, c'est-à-dire pendant plusieurs siècles, D'ALEMB. Ab. De la crit. Oeuv. t. IV, p. 247, dans POUGENS.• Il n'y a pas longtemps que les hypothèses régnaient dans l'histoire, parce qu'elles régnaient encore dans la philosophie, CONDILL. Hist. anc. XI, 2.8° Exister, se faire remarquer, durer plus ou moins longtemps. L'hiver règne dans ce pays neuf mois de l'année.• L'inimitié qui règne entre nos deux partis, CORN. Sertor. III, 2.• Je suis tellement libertine quand j'écris, que le premier ton que je prends règne tout du long de ma lettre, SÉV. à Bussy, 20 juill. 1679.• La violence et le brigandage régnaient partout dans la ville, BOSSUET Hist. II, 8.• Vous savez.... que la flatterie jusqu'ici n'a pas régné dans les discours que je vous ai faits, FLÉCH. Duc de Montaus..• Dans le réduit obscur d'une alcôve enfoncée.... Là, parmi les douceurs d'un tranquille silence, Règne sur le duvet une heureuse indolence, BOILEAU Lutr. I.• Un désordre éternel règne dans son esprit, RAC. Phèdre, I, 2.• Enfin avec des yeux où régnait la douceur...., RAC. Esth. I, 1.• Les plaisirs commençaient à régner dans la cour, HAMILT. Gramm. 5.• Après Sévère, on vit régner toutes les horreurs, MONTESQ. Rom. 16.• Un silence profond règne au loin dans Pergame : Tout dort, DELILLE Én. II.• Au Parnasse, la misère Longtemps a régné, dit-on, BÉRANG. Gueux..Impersonnellement.• Cela est bien imaginé et bien ordonné ; il règne ici un bon goût et beaucoup d'intelligence, LA BRUY. XVI.• Il règne en cet ouvrage un grand art de mettre des idées abstraites dans leur jour, de les lier ensemble, de les fortifier par leur liaison, FONTEN. Malebr..9° Il se dit des maladies qui s'étendent sur beaucoup de personnes. La grippe règne depuis deux mois.• On [Hambourg] refusa de les recevoir [des fugitifs d'Altona], parce qu'il régnait dans Altona quelques maladies contagieuses, VOLT. Charles XII, 7.• Il régnait de ce côté là, tout le long de la Seine, une fièvre putride d'une dangereuse malignité, MARMONTEL Mém. IX.10° En parlant du vent, être fixé à un certain point.• Un vent d'orient qui règne de temps en temps sur ces côtes [du Kamtschatka] en hiver, BUFF. Quadrup. t. XI, p. 111.• Quelque heureuse que paraisse la position de Mitylène, il y règne des vents qui en rendent le séjour quelquefois insupportable, BARTHÉL. Anach. ch. 3.11° S'étendre en longueur.• Il y a de fortes chaînes de pierres qui règnent jusqu'au comble, VAUGEL. Q. C. VIII, 10.• Ici s'offre un perron, là règne un corridor, BOILEAU Art p. I.• Autour de cet amas de viandes entassées, Régnait un long cordon d'alouettes pressées, BOILEAU Sat. III.• À l'égard des montagnes, débarquez au cap de Bonne-Espérance, vous trouverez une chaîne de montagnes qui règne du midi au nord jusqu'au Monomotapa, VOLT. Dict. phil. Fleuves..• La couleur orangée règne autour des yeux et sur les joues [du grand écureuil du Malabar], BUFF. Quadr. t. XIII, p. 52.• Qui partageait en deux un grand balcon régnant sur la cour, J. J. ROUSS. Conf. II.• C'est une grande galerie voûtée et enrichie intérieurement d'une colonnade qui règne de droite et de gauche, DIDER. Salon de 1767, Oeuv. t. XIV, p. 403, dans POUGENS.XIVe s.• Belle chose leur sembloit, que les leur regnassent à Rome, BERCHEURE f° 29, verso..XVe s.• Le jeune duc de Bourgogne qui regnoit pour le temps, FROISS. liv. I, p. 240.• Les cardinaux qui pour ce temps regnoient, firent un pape et y nommerent...., FROISS. liv. II, p. 51.• En celuy temps regnoit [vivait, florissait] une moulte saincte et devote femme, soeur Collette, O. DE LA MARCHE Mém. liv. I, p. 116, dans LACURNE.• Pour hoirs avoir, pour vivre et pour regner [vivre en honneur], Sages est cilz qui ainsy se marie, E. DESCH. Poésies mss. f° 261.• Ceux qui regnent aux grandes seigneuries, COMM. I, 7.• Il dit et conclud à luy mesme qu'il est ainsi malheureux, et que c'est fortune qui luy court sus et qui regne contre luy, Les quinze joyes du mariage, p. 110, dans LACURNE.XVIe s.• C'est l'art de bien regner qu'il faut apprendre aux princes, DESPORTES Tombeau de Desportes..• Nostre grand et glorieux chef d'oeuvre, c'est vivre à propos ; toutes aultres choses, regner, thesauriser, bastir, n'en sont qu'appendicules et adminicules, MONT. IV, 296.Provenç. regnar, renhar ; espagn. reinar ; ital. regnare ; du lat. regnare, dénominatif de regnum (voy. règne).
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.