- rouiller
- rouiller 1.(rou-llé, ll mouillées, et non rou-yé) v. a.1° Produire de la rouille sur un corps. L'humidité rouille le fer.Fig.• Sur nos fers qu'il rouille Le temps écrit l'âge d'un vin si doux, BÉRANG. Escl. gaul..2° Produire sur les végétaux la maladie dite rouille. Un temps humide et froid a rouillé nos blés.• On dirait qu'en ces jours où l'automne décline, Le soleil et la pluie ont rouillé la forêt, V. HUGO Orient. 36.3° Fig. En parlant des facultés de l'esprit, altérer, faute d'exercice. L'oisiveté rouille l'esprit.• Je trouvai mon ami Florbel attristé et moins aimable ; le commerce d'une femme sans usage du monde, sans instruction et dépourvue d'esprit, l'avait rouillé, GENLIS Parvenus, t. III, p. 237, dans POUGENS.Absolument.• Rien ne rouille promptement comme le vin, lorsqu'on s'y abandonne sans réserve, GENLIS Mères riv. t. II, p. 14, dans POUGENS.4° Se rouiller, v. réfl. Contracter de la rouille.• Le fer et l'airain, n'étant plus polis par les cyclopes, commençaient à se rouiller, FÉN. Tél. II.• Le fer.... attire l'humide de l'air, s'en pénètre et se rouille, c'est-à-dire se convertit en une espèce de terre sans liaison, sans cohérence, BUFF. Hist. min. introd. Oeuv. t. VII, p. 94.Par extension.• Quelle peine a-t-on d'arracher une aumône à cet homme, dont l'argent, soigneusement accumulé, se rouille presque dans ses coffres ?, FLÉCHIER Sermons, Pentecôte..Fig.• Ces armes [des arguments] se rouillèrent quand on ne combattit plus, VOLTAIRE Louis XIV, 35.Avec ellipse du pronom personnel.• [Mon bisaïeul] ....Laissant rouiller sa cuirasse, Joua noblement tous les jeux, BÉRANG. Enf. de b. maison..5° Fig. Perdre son activité, sa force, oublier ce qu'on sait.• Oisif en ta maison se rouille ton courage, RÉGNIER Épit. I.• Quoique Bondin [un médecin] aimât son métier, il s'y rouilla tout à fait, parce qu'il ne prenait plus la peine de voir ses malades, SAINT-SIMON 286, 143.• Cette méthode [relire les bons livres] rafraîchit la mémoire, et empêche le goût de se rouiller, VOLT. Lett..• Mme du Deffant, 15 mars 1769 Dites moi si l'allemand [Voltaire écrit de Potsdam] a gâté mon français, et si je me suis rouillé comme Rousseau, VOLT. Lett. d'Argental, 28 nov. 1750.• Irais-je, accompagné d'une femme importune, Me rouiller dans ma terre et borner ma fortune ?, GRESSET le Méch. II, 7.• Lisons tant que nos yeux nous le permettront, et tâchons d'être au moins les égaux de nos enfants ; plutôt s'user que se rouiller, DIDER. Claude et Nér. II, 79.Avec ellipse du pronom personnel.• Il n'est que trop commun de rencontrer dans le monde des personnes de trente ans qui ont laissé rouiller de beaux talents, GENLIS Emploi du temps, p. 29, dans POUGENS.XVIe s.• .... Cest aage de fer, de vices tout rouylé, DU BELLAY VI, 46, verso..• Si on laisse le corps rouiller et durcir par le mal gouverner...., LA BOËTIE 335.• Pour ce, estranger, la richesse mesprise, Ne rouille point ton coeur de convoitise, LA BOËTIE 626.• Les armes se rouillent, si elles ne sont souvent nettoyées, LANOUE 179.• [Un homme] entré en desespoir, n'ayant aultre chose à se tuer, se saisit d'un vieux clou de charrette rouillé, MONT. II, 128.Rouille ; prov. roillar, roilhar, rouelar.————————rouiller 2.(rou-llé, ll mouillées) v. a.Terme aujourd'hui inusité qui ne s'employait qu'avec oeil et qui signifiait rouler les yeux, les faire aller çà et là.• Ce philosophe, duquel vous vous êtes ressouvenu si à propos qu'il fait quelquefois les petits yeux, a rouillé les yeux en la tête, quand je lui ai lu cet endroit de votre lettre, VOIT. Lett. 58.• ....Comme il rouille les yeux ! Madame, sauvez-moi de ce fol furieux, QUINAULT Comédie sans comédie, II, 6.XIIe s.• Vers l'apostoille commence à reoillier, Guill. au court nez, V. 504.XIIIe s.• [Il] Fronce le nez, les yex rooille, la Rose, 3745.Berry, roeiller, regarder avec curiosité. On pourrait croire que c'est une forme de rouler ; mais, si l'on considère que rouler est dissyllabique et reoiller trissyllabique, on pensera qu'il est formé de re, et oeil. à la vérité, on doit convenir que le lat. rotulare, d'où vient rouler, aurait pu donner un mot trissyllabique, si, au lieu de se changer en rotler, il s'était changé en rooler ; mais il n'aurait pas le sens qu'a primitivement reoillier, qui est regarder autour de soi (voy. l'historique).
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.