abandonner

abandonner
(a-ban-do-né) v. a.
   Remettre à la discrétion de.... au soin de..., céder, faire cession. Abandonner son sort à la Providence. J'ai abandonné le soin de mes affaires à un homme intelligent. Abandonner tout au vainqueur. Abandonner le reste au ciel. Abandonner cela à la fortune. Abandonner un ecclésiastique au bras séculier. Vous vous plaignez de cet homme ; je vous l'abandonne : c'est-à-dire pensez-en ce qu'il vous plaira ; faites à son égard ce que vous voudrez. Je vous abandonne ce point, je vous cède là-dessus. Il abandonne ses biens à ses créanciers.
   Apprends de leurs indices L'auteur de l'attentat, et l'ordre, et les complices ; Je te les abandonne...., CORN. Mort de P. IV, 4.
   Un nombre de mots.... Que mutuellement nous nous abandonnons, MOL. Femmes sav. III, 2.
   Porte aux Grecs cet enfant que Pyrrhus m'abandonne, RAC. Andr. III, 1.
   Dites au roi, Seigneur, de vous l'abandonner, RAC. Esth. II, 1.
   Au cours de mes destins j'abandonnais ma vie, DUCIS Othello, II, 7.
   Livrer à Abandonner une ville au pillage. Abandonner à la merci de.... Il abandonna la barque au courant du fleuve. Dieu abandonne souvent les méchants à leur sens réprouvé.
   Nous savons à quel désespoir Judas fut abandonné de Dieu, et à quelle fin malheureuse il s'abandonna lui-même, BOURD. Pensées, t. III, p. 368.
   On peut dire de certaines matières que l'Église les abandonne à nos vues particulières et à nos raisonnements, BOURD. ib. t. II, p. 340.
   J'abandonnai mon âme à des ravissements...., CORN. Hor. I, 3.
   J'abandonne ce traître à toute ta colère, RAC. Phèd. IV, 2.
   Dieux ! ne puis-je à ma joie abandonner mon âme ?, RAC. Andr. III, 3.
   J'abandonnai ma vie à des malheurs certains, VOLT. Oed. V, 2.
   Tandis qu'à la frayeur j'abandonnais mon âme, VOLT. ib. IV, 1.
   Renoncer à. Abandonner une bâtisse. Abandonner ce qu'on a pris. Abandonner une entreprise, une guerre commencée. Abandonner la lutte. Abandonner le barreau. Abandonner ses travaux. Abandonner une vaine tentative. Abandonner une profession. Abandonner son opinion pour celle d'un autre. J'abandonne le reste, c'est-à-dire je le passe sous silence.
   Trône, à t'abandonner je ne puis consentir, CORN. Rod. V, I.
   J'avais fait serment d'abandonner plutôt la vie que de me résoudre à perdre cette liberté, MOL. Prin. d'Él. IV, 1.
   La Grèce et la Sicile ont vu des citoyennes Abandonner nos lois pour ces fiers Musulmans, VOLT. Tancr. II, 4.
   Que je vois de sujets d'abandonner le jour !, RAC. Théb. V, 1.
   Par moi seule éloigné de l'hymen d'Octavie, Le frère de Junie abandonna la vie, RAC. Brit. I, 1.
   Délaisser, déserter, laisser sans secours, se séparer de.... Abandonner son général, son poste, le parti qu'on avait embrassé. Il abandonna le parti du sénat pour celui du peuple. J'abandonne la cause commune. Philoctète fut abandonné dans l'île de Lemnos. Abandonner un enfant, l'exposer et le laisser à la charité publique. Abandonner sa femme et ses enfants. Les médecins ont abandonné ce malade, c'est-à-dire ils l'ont laissé, ne sachant plus lui être utiles en rien. Avec un nom de chose pour sujet : Son courage l'abandonna. L'appétit, le sommeil l'ont abandonné.
   Mon esprit, volage et sans arrêt, m'abandonne et se porte partout ailleurs, BOURD. Pensées, t. II, p. 13.
   Abandonnant le corps, n'abandonnez pas l'âme, ROTROU Venc. V, 4.
   Si vous l'abandonnez plus longtemps sans secours...., RAC. Brit. V, 8.
   Elle me dédaignait, un autre l'abandonne, RAC. Andr. II, 1.
   Tout semble abandonner tes sacrés étendards, RAC. Esth. Prol..
   Le courage les abandonne, FÉN. Tél. XVI.
   Comme un malade désespéré qu'on abandonne, FÉN. ib. VII.
   Quitter, lâcher. Abandonner l'Italie. Abandonner Paris. Abandonner la ville pour les champs. Abandonner ses armes. N'abandonne pas le gouvernail. Tenez ferme ; n'abandonnez pas cette corde. Abandonner les étriers, les quitter et quelquefois les perdre.
   Comme il avait un désir extraordinaire de s'instruire et de connaître les moeurs des étrangers, il abandonna sa patrie et tout ce qu'il avait pour voyager, FÉN. Philos. Pythag..
   Il fallait en fuyant ne pas abandonner Le fer qui dans ses mains sert à te condamner, RAC. Phèd. IV, 2.
   Négliger, ne pas cultiver. Il ne faut pas abandonner vos liaisons dans le monde.
   N'abandonnez pas votre voix, SÉV. 3.
   En fauconnerie, abandonner l'oiseau, le lâcher dans la campagne pour l'égayer.
   S'ABANDONNER, v. réfl.
   Se remettre à, se laisser aller à, se livrer à. S'abandonner à la fortune, au vainqueur, au gré de la tempête. S'abandonner au chagrin, à la douleur, à la joie, aux pleurs, à toutes sortes de plaisirs, à la débauche. Il s'abandonne sans réserve au goût de la magnificence. Personne ne s'abandonne à ce point à sa colère.
   Le tout est de savoir s'abandonner à Dieu en pure foi, BOSSUET Lett. Corn. 4.
   Mon âme à tout mon sort s'était abandonnée, RAC. And. IV, 5.
   Souffre qu'à mes transports je m'abandonne en proie, RAC. Théb. V, 4.
   Allons, à tes conseils, Phoenix, je m'abandonne, RAC. Andr. II, 5.
   Vous vous abandonniez au crime en criminel, RAC. Andr. IV, 5.
   Quoi ! tandis que Néron s'abandonne au sommeil...., RAC. Brit. I, 1.
   Télémaque s'abandonnait à une douleur amère, FÉN. Tél. XVI.
   Astarbé s'abandonna à son ressentiment, FÉN. ib. III.
   Il s'abandonna à l'amour des femmes, BOSSUET Hist. I, 6.
   Non, non, à trop de paix mon âme s'abandonne, MOL. Sgan. 8.
   Ce monarque étonné à ses frayeurs déjà s'était abandonné, CORN. Nic. v. 8.
   Je connais Marianne, et sais qu'elle est trop sage Pour s'être abandonnée à tenir ce langage, TRISTAN Marianne, I, 3.
   Perdre courage, se manquer à soi-même. Vous êtes perdu si vous vous abandonnez. Il les exhorte à ne pas s'abandonner.
10°   Se négliger. Il ne faut pas s'abandonner ainsi (se négliger dans le maintien, dans l'habillement), quand on veut plaire.
11°   Se lancer sans ménagement. Dans l'improvisation, cet orateur s'abandonne. L'épée à la main, il s'abandonna sur son adversaire, au risque de s'enferrer.
   Plus il s'abandonnait, plus il était terrible, VOLT. Tancr. V, 1.
12°   Avoir de l'abandon. Ne vous roidissez pas, abandonnez-vous. Cet acteur ne s'abandonne pas assez.
13°   En parlant des enfants. Il s'abandonne déjà, il commence à faire quelques pas seul et sans être soutenu.
14°   En parlant des femmes, se livrer.
   Elle s'est abandonnée à ceux qu'elle aimait, BOSSUET Nouv. Cath..
   Anne de Boulen eut l'adresse de ne se pas abandonner entièrement et d'irriter la passion du roi, VOLT. Moeurs, 135.
   Votre amour qui s'abandonne Ne refusa jamais personne, RÉGNIER Mac..
15°   Terme d'équitation. Ce cheval s'abandonne, il ralentit sa marche
   Abandonner peut se construire avec à suivi d'un infinitif.
   Aussi n'aurais-je pas Abandonné mon coeur à suivre ses appas, MOL. Ec. des Mar. II, 9.
   Le moindre défaut des femmes qui se sont abandonnées à faire l'amour, c'est de faire l'amour, LAROCHEF. Réfl. 131.
   1° ABANDONNER, DÉLAISSER. Abandonner se dit des choses et des personnes ; délaisser ne se dit que des personnes. Nous abandonnons les choses dont nous n'avons pas soin ; nous délaissons les malheureux à qui nous ne donnons aucun secours. Au participe, délaisser a une énergie d'universalité qu'on ne donne au premier qu'en y joignant quelque terme qui la marque précisément. Ainsi l'on dit :
   C'est un pauvre délaissé ; Il est abandonné de tout le monde, GUIZOT. .
   2° QUITTER, ABANDONNER, RENONCER. Idée commune, cesser de garder une chose, de s'en occuper ou de la demander.
   Les thérapeutes abandonnent leurs biens à leurs parents ou à leurs amis ; ils quittent leurs pères, leurs mères ; ils renoncent à tous les attachements terrestres, CONDILLAC .
On renonce toujours volontairement, avec quelque peine, avec regret, en se faisant violence ; on renonce au plaisir, au monde, à une profession qui convenait. Quitter et abandonner n'impliquent pas l'idée de renoncement, et signifient seulement qu'on se sépare d'une chose agréable ou pénible, utile ou nuisible. La différence entre quitter et abandonner est que l'on quitte de toutes les manières, ce mot en lui-même étant indifférent, au lieu que dans abandonner il y a toujours l'idée d'une sorte de délaissement, de désertion, comme dans ce vers de Racine : Je quittai, mon pays, j'abandonnai mon père, LAFAYE.
   XIe s.
   Franceis mourront, si à nous s'abandunent, Ch. de Rol. LXXII.
   [Il] broche [pique] le bien [son cheval], le frein lui abandune, ib. CXV.
   XIIe s.
   Or vus abandoins jo mun regne et mun païs, Estampes, Orliens, e Chartres et Paris, Th. le Mart. 104.
   XIIIe s.
   Et le Soudan leur abandonna que il s'alassent venger de...., JOINV. 271.
   Et plus punis devroient estre Devant l'empereor celestre Clers qui s'abandonnent aux vices, Que les gens laiz [laïques], simples et nices, la Rose, 18865.
   Cis [celui-ci] m'abandonna le passage De la haie moult doucement, ib. 2806.
   Mais jà certes n'iert [ne sera] femme bonne, Qui, por dons prendre, s'abandonne, ib. 4578.
   Quant il sevent que lor femes s'abandonnent à autrui...., BEAUMANOIR LVII, 10.
   XIVe s.
   Jà n'en seroit meilleur tant comme il fust habandonné à telles passions, ORESME Éth. 4.
   XVe s.
   Elle ne vouloit mie que le roi s'abandonnast trop de la regarder, FROISS. I, I, 192.
   Ceux du chastel ne furent onques si recrus qu'ils ne s'abandonnassent au defendre si vaillamment, par quoi ceux de l'ost pussent rien gagner sur eux, FROISS. I, I, 259.
   Il n'a point de regret Au cidre qu'il nous donne ; En eust-il une tonne, Il l'abandonneroit, BASSELIN 42.
   L'un vers l'autre desloyaument se mene ; Aux mauvais est la terre abandonnée, DESCHAMPS Souffrance du peuple..
   Onques sanglier escumant ni loup enragé plus fierement ne s'abandonna, Hist. de Boucicaut, I, 24.
   C'est assavoir, se le doffin [dauphin] rompoit la pais, qu'il abandonnoit à ses gens de aller servir le duc Jehan, P. DE FENIN 1419.
   XVIe s.
   Il y en eut deux qui abandonnerent l'entreprise de peur, AMYOT Lyc. 9.
   Cette hardiesse et constance assurée qu'il avoit en bataille contre l'ennemy l'abandonnoit incontinent qu'il se trouvoit en une assemblée du peuple à la ville, AMYOT Marius, 48.
   Les proprietaires les luy abandonnoient à bien vil prix, AMYOT Crassus, 3.
   Il résolut d'abandonner sa vie [se laisser mourir], AMYOT Démétr. 52.
   Il seroit estrange que nous qui voulons estre tenus pour gens de bien, laississions porter par terre nostre vertu et l'abandonnissions, AMYOT De la mauv. honte, 21.
   La meilleure part de l'entreprise, ils l'abandonnent à la fortune, MONT. I, 132.
   Estant abandonné des medecins pour un aposteme, MONT. I, 254.
   S'abandonner aux delices, MONT. II, 4.
   Il abandonna [s'éloigna] de si peu son fort, MONT. I, 25.
   Les filles se peuvent abandonner [se livrer à un homme], MONT. I, 111.
   Abandon ; bourguig. ebandenai ; provenç. et espagn. abandonar ; ital. abbandonnare.

Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. . 1872-1877.

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