- prévenir
- (pré-ve-nir) v. a.Il se conjugue comme venir, excepté aux temps composés où il prend l'auxiliaire avoir : j'ai prévenu.1° Venir le premier. Le courrier de France a prévenu celui d'Espagne. Le goût prévient la réflexion.• Esprit saint, Esprit pacifique, je vous ai préparé les voies en prêchant votre parole ; ma voix a été semblable peut-être à ce bruit impétueux qui a prévenu votre descente, BOSSUET la Vallière..2° Agir, faire, avant qu'un autre agisse, fasse.• Il faut prévenir ceux qui se veulent venger, Et courir de bonne heure au-devant du danger, TRISTAN Mariane, II, 7.• ....Il jouera, s'il est sage, à ces gens-là quelque méchant parti, Les prévenant, les chargeant d'un message Pour Mahomet...., LA FONT. Fabl. VIII, 18.• Les deux Hotham.... devaient rendre au roi cette place [Hull] avec celle de Beverley ; mais ils furent prévenus et décapités, BOSSUET Reine d'Angl..• C'est en vain qu'à travers les bois.... Beck précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés ; le prince l'a prévenu, BOSSUET Louis de Bourbon..• Alors, sans consulter si Phébus l'en avoue, Ma muse toute en feu me prévient et te loue, BOILEAU Disc. au roi..• L'usurpateur Mahmoud, déjà maître d'une grande partie de la Perse, voulut en vain prévenir le czar, et l'empêcher d'entrer dans Derbent, VOLT. Russie, II, 16.Prévenir quelqu'un par toutes sortes de bons offices, lui rendre toutes sortes de services, avant qu'il nous en ait rendu aucun.• C'était à qui me préviendrait de plus d'honnêtetés et de déférence, SAINT-SIMON 11, 126.On dit aussi prévenir de, au moins dans le style de la dévotion.• Dieu le prévint de ses bénédictions spirituelles, FLÉCH. Lam..• Quoiqu'il faille préparer beaucoup l'enfant à la communion, on ne saurait le prévenir trop tôt d'une si précieuse grâce, FÉN. t. XVII, p. 77.Absolument. Rendre le premier un bon office, faire le premier une politesse.• Je ne rougis pas de prévenir même l'ennemi qui m'a outragé, BOURDAL. Resp. hum. 2e avent, p. 403.• Si jamais quelque chose, monsieur, m'a sensiblement touché, c'est la lettre par laquelle vous m'avez bien voulu prévenir, VOLT. Lett. Bagieux, 10 avr. 1752.• Plusieurs diraient volontiers comme le chevalier W. Gooch, gouverneur de la Virginie, à qui on reprochait de saluer un nègre qui l'avait prévenu : Je serais bien fâché qu'un esclave fût plus honnête que moi, RAYN. Hist. phil. XI, 22.• Je la préviens sur tout, et la comble de présents, BEAUMARCH. Mar. de Fig. III, 5.3° Terme de droit. Se saisir le premier d'une affaire.• En certains cas, les baillis et sénéchaux prévenaient les juges ordinaires, Dict. de l'Académie.Dans un sens analogue. Le pape prévient l'ordinaire, c'est-à-dire sa collation prévaut quand il confère avant l'ordinaire.4° Anticiper, par rapport au temps, en parlant de personnes.• Je m'en vais faire tous les remèdes que je vous ai dits, afin de prévenir l'hiver, SÉV. 2 sept. 1676.• Je vois couler le temps avec douleur, quand je pense au jour qu'il m'amènera ; mais je ne veux pas prévenir mon malheur, SÉV. 16 nov. 1674.• Quoi ! attendre à commencer une vie nouvelle, lorsque entre les mains de la mort.... ah ! prévenez par la pénitence cette heure de troubles et de ténèbres, BOSSUET Louis de Bourbon..• Dès que Magon fut arrivé à Carthage, on lui fit son procès ; il prévint le supplice par une mort volontaire, ROLLIN Hist. anc. Oeuv. t. I, p. 276, dans POUGENS.• Dans le nombreux sérail où j'ai vécu, j'ai prévenu l'amour et l'ai détruit par lui-même, MONTESQ. Lett. pers. VI.Prévenir un cheval, l'arrêter au moment où il va changer de pied.Il se dit aussi des choses.• Quels furent ses sentiments pour ses amis ? ici se réveille ma reconnaissance, et l'image d'un bonheur dont je jouissais me fait souvenir que je l'ai perdu ; sa bonté prévint pour cette fois son jugement, FLÉCH. Duc de Mont..• Madame, mes refus ont prévenu vos larmes, RAC. Andr. I, 4.5° Aller au-devant de quelque chose pour le détourner.• Elle prévient ma plainte, et cherche adroitement à la faire passer pour un ressentiment, CORN. Nicom. III, 4.• On les voit [les animaux].... attaquer et se défendre.... ruser même, et, ce qui est plus fin encore, prévenir les finesses, BOSSUET Conn. v, 1.• J'ai joint aussi à ces épigrammes un arrêt burlesque donné au Parnasse, que j'ai composé autrefois, afin de prévenir un arrêt très sérieux que l'université songeait à obtenir du parlement, contre ceux qui enseigneraient, dans les écoles de philosophie, d'autres principes que ceux d'Aristote, BOILEAU Disc. sur l'ode..• Cependant Adraste prévenait toutes les entreprises des alliés, FÉN. Tél. XVI.• Les Perses.... persuadés qu'il vaut bien mieux s'appliquer à prévenir les fautes qu'à les punir, ROLLIN Hist. anc. Oeuv. t. II, p. 136, dans POUGENS.• On prévient mal ce qu'on n'a su prévoir, J. B. ROUSS. Allég. II, 5.• La morale est comme la médecine, beaucoup plus sûre dans ce qu'elle fait pour prévenir les maux, que dans ce qu'elle tente pour les guérir, D'ALEMB. Lett. à J. J. Rouss..• Pourquoi, dès les siècles les plus reculés, admit-on dans les repas l'usage de chanter les dieux et les héros, si ce n'est pour prévenir les excès du vin, alors d'autant plus funestes que les âmes étaient plus portées à la violence ?, BARTHÉL. Anach. ch. 27.• Qui prévient le besoin, prévient souvent le crime, DELILLE Hom. des ch. I.Prévenir que.... ne....• Si l'on craignait les minorités, s'il fallait prévenir que les eunuques ne plaçassent des enfants sur le trône...., MONTESQ. Espr. XXVI, 6.Prévenir les objections, les difficultés, y répondre, les résoudre d'avance.6° Fig. Aller au-devant de ce que quelqu'un peut désirer, demander.• Les autres ne lui semblaient mis sur la terre par les dieux que.... pour prévenir tous ses désirs, FÉN. Tél. XVI.• Cette foule d'esclaves attentifs à prévenir même vos souhaits, MASS. Carême, Mauvais riche..Prévenir les ordres, les intentions de quelqu'un, faire ce qu'il veut avant qu'il ait commandé.• Prêt à mourir pour vous, prêt à tout entreprendre, J'ai prévenu votre ordre, VOLT. Fanat. II, 4.7° Faire naître d'avance dans l'esprit des sentiments favorables ou défavorables.• Voilà donc ce que c'est que les nouvelles sectes : on s'y laisse prévenir contre des dogmes certains dont on prend de fausses idées, BOSSUET Var. VIII, 27.• Quelque ascendant qu'on eût sur lui, on pouvait le prévenir, mais on ne pouvait le corrompre, FLÉCH. Duc de Mont..• Vous savez mieux que personne combien il est inutile de me prévenir ou de chercher à me gagner, MAINTENON Lett. au duc de Noailles, t. v, p. 249, dans POUGENS..• Misérable ! il s'en va lui prévenir l'esprit, RAC. Plaid. II, 12.• Un homme sujet à se laisser prévenir, s'il ose remplir une dignité ou séculière ou ecclésiastique, est un aveugle qui vent peindre, un muet qui s'est chargé d'une harangue, ou un sourd qui juge d'une symphonie, LA BRUY. XII.Il se dit des choses qui agissent sur l'esprit en le prévenant.• Si l'on considère son ouvrage incontinent après l'avoir fait, on en est encore tout prévenu, PASC. Pens. III, 2 bis, éd. HAVET..• C'est une chose pitoyable, de voir tant de Turcs, d'hérétiques, d'infidèles suivre le train de leurs pères, par cette seule raison qu'ils ont été prévenus que c'est le meilleur, PASC. ib. XXV, 80.• Deux choses toutes contraires nous préviennent également, l'habitude et la nouveauté, LA BRUY. XII.• Votre physionomie m'a d'abord prévenu en votre faveur, LESAGE Diable boit. 13.• Dès que nous voyons des gens dont la figure nous prévient, notre accueil a toujours quelque chose de plus obligeant pour eux que pour d'autres, MARIVAUX Marianne, part. 8.Absolument.• Ces dispositions heureuses qui préviennent favorablement, HAMILT. Gramm. II.• M. Remy : Voyez comme il vous regarde : vous ne feriez pas là une si mauvaise emplette. - Marton : J'en suis persuadée ; monsieur prévient en sa faveur, MARIVAUX Fausses confid. I, 4.8° Informer, avertir par avance. Il m'a fait prévenir de son retour.• C'est ma mère, ajouta-t-il, qui a voulu que je vous prévinsse sur tout ceci, avant que vous vissiez M. de Climal, MARIVAUX Marianne, part. 5.9° Se prévenir, v. réfl. Aller au-devant des désirs les uns des autres.• Prévenez-vous les uns les autres par des témoignages d'honneur et de déférence, SACI Bible, St Paul, Épît. aux Rom. XII, 10.• Nous nous prévenions de mille petites honnêtetés que l'inclination suggère à deux personnes qui ont du plaisir à se voir, MARIV. Marianne, 5e part..• Vos soins me préviennent toujours. - Il est tout naturel qu'ainsi l'on se prévienne, COLLIN D'HARLEV. Moeurs du jour, III, 2.10° Concevoir par avance des sentiments favorables ou défavorables.• Si on se prévient, si on se flatte, si on s'aveugle dans les petits intérêts des particuliers, ne doit-on pas encore plus craindre de se flatter et de s'aveugler sur les grands intérêts d'État ?, FÉN. Tél. XXIII.• Tu as du penchant à te prévenir pour ou contre les gens, J. J. ROUSS. Hél. I, 46.• Duclos, doué de trop grands talents pour ne pas aimer ceux qui en avaient, s'était prévenu pour moi, m'avait invité à l'aller voir, FÉN. Confess. VIII.• C'est ainsi que les hommes se préviennent les uns contre les autres sans se connaître, BOISSY Français à Lond. sc. 19.XVIe s.• Nostre volonté est prevenue de la grace, CALV. Instit. 214.• La misericorde de Dieu nous previent et nous suit : assavoir d'autant qu'il previent celui qui ne veut point, à ce qu'il vueille : et suit celui qui veut, à ce qu'il ne vueille point en vain, CALV. ib. 221.• Je loue la bonté divine qui a prevenu au malheur où je m'en allois precipiter, en me montrant...., MARG. Nouv. x..• [L'enfant prodigue] Fut prevenu de son pere, et receu Benignement, dès qu'il l'eut apperceu, MAROT I, 265.• La pluspart des philosophes ont prevenu par desseing leur mort, MONT. I, 295.• Si l'empereur [Charles-Quint] eust prevenu, il montoit jusques à Lyon, CARL. I, 18.• Pelopidas les previnst de vitesse, AMYOT Pélop. 40.• Ilz se hasterent pour tascher à prevenir le renfort que Pyrrhus attendoit, CARL. Pyrrh. 34.• Menons le jeune homme à lire les oeuvres des poëtes : non estant prevenu de telles opinions touchant...., CARL. Comm. lire les poët. 31.Provenç. et espagn. prevenir ; ital. prevenire ; du lat. praevenire, de prae, avant, et venire, venir.
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.