- mainmorte
- (min-mor-t') s. f.1° Terme de jurisprudence. État des serfs qui, en vertu d'anciens droits féodaux, étaient privés de la faculté de tester et de disposer de leurs biens quand ils n'avaient pas d'enfants ; c'était le seigneur qui était leur héritier.• J'ai lu ce qui regarde l'esclavage de la mainmorte, avec d'autant plus d'attention et d'intérêt, que j'ai travaillé quelque temps en faveur de ceux qu'on appelle francs et qui sont esclaves, et même esclaves de moines, VOLT. Lett. Perret, 28 déc. 1771.• Douze mille esclaves des chanoines de Saint-Claude, qui ont eu l'insolence de ne vouloir être que des sujets du roi, et non serfs et bêtes de somme appartenant à des moines, viennent de perdre leurs procès au parlement de Besançon, attendu que plusieurs conseillers de grand'chambre ont des terres où la mainmorte est en vigueur, malgré les édits de nos rois, VOLT. Mél. litt. à M***..• Nous avons un projet d'édit sous Louis XIV minuté par le bisaïeul de Malesherbes pour détruire la mainmorte, en indemnisant les seigneurs féodaux, VOLT. Lett. Morellet, 29 déc. 1775.• Les lémures et le sabbat fuyaient à l'apparition du jour ; la mainmorte doit disparaître devant la raison, la religion, la justice et la politique, VOLT. Polit. et lég. Cout. de Franche-Comté..Droit de mainmorte territoriale, droit en vertu duquel le seigneur du fief héritait des biens de ceux qui mouraient sur son territoire après un an et un jour de séjour.Droit de mainmorte personnelle, droit que possédaient quelques seigneurs sur l'héritage d'un homme né leur vassal, quand même cet homme avait établi son domaine dans un lieu franc.2° Condition de biens qui, appartenant à des corps ecclésiastiques, soit séculiers, soit réguliers, sont inaliénables et ne produisent aucun droit de mutation.• Augmentez-les, ces droits, et arrêtez la mainmorte, s'il est possible, MONTESQ. Esp. XXV, 5.Gens de mainmorte, les corps et communautés.• Ces gens de mainmorte n'auront plus eux-mêmes des esclaves de mainmorte, VOLT. Voy. de la raison..Biens en mainmorte, ou biens tombés en mainmorte, biens qui sont en la possession de gens de mainmorte.XIIIe s.• Por ce qu'il tienent en main morte, il poent [peuvent] estre contraint d'oster les heritages de lor main, BEAUMANOIR XLV, 20.XIVe s.• Comme les homes du lieu de la Faye sont, ensemble leurs terres et possessions, de main morte, manourable et taillable à mercy, DU CANGE manopera..XVIe s.• Le feu, le sel et le pain partent l'homme morte-main, LOYSEL 94.• Nos coustumes appellent les serfs gens de mortemain ou main morte par une metaphore hardie, PASQUIER Recherch. VIII, p. 732, dans LACURNE.Main, et mort ; appellation qui, dit Voltaire, Siècle de Louis XV, 42, " vient de ce qu'autrefois, lorsqu'un de ces serfs décédait sans laisser d'effets mobiliers que son seigneur pût s'approprier, on apportait au seigneur la main droite du mort ; digne origine de cette dénomination. " Cette étymologie, qui provient peut-être de quelque légende, est fausse. Manus a déjà en droit romain et a conservé en vieux droit français le sens de puissance, domaine. Ici main veut dire le droit de transmettre et d'aliéner : gens de mainmorte, ceux qui, soit comme serfs, soit comme appartenant à des corps et communautés, ne peuvent transmettre et aliéner ; biens de mainmorte, biens qui ne peuvent être transmis ni aliénés, soit ceux des serfs qui appartiennent au seigneur, soit ceux des corps et communautés, qui sont immobilisés et inaliénables. Quant au sens de mort en ce mot, il est le même que dans le verbe amortir, et signifie éteint, sans force.
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.