horreur

horreur
(o-rreur) s. f.
   La sensation physique qui fait que la peau devient chair de poule et que les cheveux se hérissent.
   La peau, se retirant sur elle-même, fera dresser les cheveux, dont elle enferme la racine, et causera ce mouvement qu'on appelle horreur, BOSSUET Conn. II, 12.
   D'une subite horreur leurs cheveux se hérissent, BOILEAU Lutr. III.
   Se dit des choses qui causent un sentiment d'effroi mêlé d'admiration, de respect, etc.
   Après cela, docteur, va pâlir sur la Bible.... Perce la sainte horreur de ce livre divin, BOILEAU Sat. VIII.
   Et, dans la sacristie entrant, non sans terreur, En percent jusqu'au fond la ténébreuse horreur, BOILEAU Lutr. III.
   Le ciel brille d'éclairs, s'entr'ouvre, et parmi nous Jette une sainte horreur qui nous rassure tous, RAC. Iph. V, 6.
   Il est saisi d'une horreur divine, FÉN. Tél. XVIII.
   Saisie d'une horreur de religion à la seule présence du sanctuaire, MASS. Av. Disp..
   Mais, quand il m'accablait de cette sainte horreur, La persuasion n'a point rempli mon coeur, VOLT. Fanat. IV, 2.
   Tout en fait sentir la religieuse horreur [de l'église gothique], CHATEAUBR. Génie. III, I, 8.
   [Byron] La nuit est ton séjour, l'horreur est ton domaine, LAMART. Médit. I, 2.
   Mouvement accompagné de frémissement et causé par quelque chose d'affreux. Ce spectacle nous glaça d'horreur.
   Et délivre mes yeux de l'horreur de te voir, CORN. Héracl. III, 2.
   Mais par la sainte horreur que vous fait l'infamie, CORN. Théod. III, 3.
   Malgré la juste horreur que son crime me donne, RAC. Andr. IV, 3.
   Quel jour mêlé d'horreur vient effrayer mon âme !, RAC. Esth. III, 4.
   Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage, RAC. Phèdre, V, 6.
   Dans l'infidèle sang baignez-vous sans horreur, RAC. Athal. IV, 3.
   Sais-tu l'excès d'horreur où je me vois livrée ?, VOLT. Mérope, IV, 4.
   La pitié, non l'horreur, doit régner sur la scène, VOLT. Prude, prol..
(Ce prologue a été attribué à la Prude dans l'édit. de Kehl ; il appartient à la comédie de l'Échange).
   On sut par lui [un général blessé et abandonné] ce crime : un frémissement d'horreur se propagea dans la colonne, il parvint jusqu'à l'empereur, SÉGUR Hist. de Nap. IX, 8.
   Sentiments d'horreur.
   Que d'horreurs vous me jetez dans l'âme !, CORN. Sur. V, 4.
   Faire horreur, exciter le sentiment de l'horreur.
   Trouvez-vous doux les noms de perfide et de traître ? - Je sais qu'aux généreux ils doivent faire horreur, CORN. Héracl. III, 5.
   Cette âme qui s'est tant aimée et tant cherchée, ne se peut plus supporter aussitôt qu'elle est seule avec elle-même ; sa solitude lui fait horreur, BOSSUET la Vallière..
   Dont les proscriptions font horreur en les lisant, BOSSUET Hist. I, 9.
   Vices qui font horreur à la nature, BOSSUET ib. II, 12.
   Elle a craint qu'Hippolyte, instruit de ma fureur, Ne découvrît un feu qui lui faisait horreur, RAC. Phèdre, V, 7.
   Va, je la désavoue, et tu me fais horreur, RAC. Andr. V, 3.
   Les rameurs chantaient à l'honneur de Vénus et de Cupidon des vers qui devaient faire horreur à ceux qui aiment la vertu, FÉN. Tél. IV.
   Le vice grossier fait horreur, FÉN. ib. VII.
   Familièrement et par exagération. Cela fait horreur, est à faire horreur, se dit d'une chose extrêmement laide, ou faite sans goût, sans habileté.
   Vous êtes aujourd'hui coiffée à faire horreur, GRESSET Méch. I, 5.
   Familièrement. C'est une horreur, c'est une personne, une chose affreuse.
   Fi ! l'horreur ! se dit pour marquer la répugnance.
   Ah ! l'horreur, se dit dans le même sens.
   L'une d'elles, qui le connaissait un peu, dit en le regardant de côté [Memnon devenu borgne] : Ah ! l'horreur !, VOLT. Memnon..
   Haine, aversion, dégoût, exécration.
   L'injuste horreur qu'elle [Rome] eut toujours des rois, CORN. Pomp. IV, 3.
   Que la vertu du fils.... Vainque la juste horreur que vous avez du père, CORN. Héracl. I, 4.
   Vous avez aimé cette erreur Pour qui vous ne deviez avoir que de l'horreur, MOL. Psyché, IV, 5.
   Elle [l'Église] a pour le meurtre une horreur toute particulière, PASC. Prov. 14.
   Sait-il toute l'horreur que ce Juif vous inspire ?, RAC. Esth. III, 1.
   Burrhus pour le mensonge eut toujours trop d'horreur, RAC. Brit. I, 2.
   Vous trouverez partout l'horreur du nom romain, RAC. Mithr. III, 1.
   Il te manquait encor ces perfides amours Pour être le supplice et l'horreur de mes jours, RAC. Mithr. III, 1.
   J'ai pris la vie en haine et ma flamme en horreur, RAC. Phèdre, I, 3.
   Quelle innocence ! quelle vertu ! quelle horreur du vice !, FÉN. Tél. VII.
   Il [l'éléphant] a une horreur si grande pour le cochon, que le seul cri de cet animal l'émeut et le fait fuir, BUFF. Quadrup. t. XIV, p. 291.
   Presque toutes les femmes ont une horreur invincible pour les araignées, les crapauds, les couleuvres, GENLIS Adèle et Théod. t. I, p. 140, dans POUGENS.
   Avoir horreur de, éprouver une aversion mêlée de dégoût.
   Celles de ma naissance ont horreur des bassesses, CORN. Rodog. III, 3.
   Les infamies qu'il [le nouveau quiétisme] a héritées de la secte des béguards.... je pourrais dire d'abord qu'on a horreur de traiter de telles matières, BOSSUET Ét. d'orais. X, 3.
   On frémirait en le prononçant, et l'on aurait horreur de soi-même, BOURD. 9e dim. après la Pentec. Dom..
   Le roi eut horreur de tout ce qu'il entendait, FÉN. Tél. XIV.
   Être en horreur à quelqu'un, lui inspirer une haine mêlée d'horreur.
   David m'est en horreur, RAC. Athal. II, 7.
   Baal est en horreur dans la sainte cité, RAC. ib. V, 6.
   Il nous croit en horreur à toute la nature, RAC. Esth. I, 3.
   Ma mémoire est en horreur, FÉNEL. Télém. XVIII.
   Objet d'horreur.
   Il ne peut endurer que l'horreur de la Grèce Pour prix de ses forfaits épouse la princesse, CORN. Méd. II, 5.
   Il devint l'horreur du genre humain, BOSSUET Hist. I, 10.
   Horreur du vide, antipathie par laquelle on supposait que la nature tendait toujours à combler les vides à mesure qu'ils se formaient.
   Que la pesanteur de la masse de l'air produit tous les effets qu'on a jusques ici attribués à l'horreur du vide, PASC. Pes. de l'air, II.
   C'est d'un semblable raisonnement que l'horreur de la nature pour le vide et cent autres chimères prirent naissance, MAIRAN Élog. abbé de Molières.
   Ce que certaines choses ont d'effrayant, de sinistre. L'horreur d'un cachot. L'horreur des combats.
   Après que j'aurai vu trébucher son orgueil De son char de triomphe en l'horreur du cercueil, ROTR. Bélis. II, 17.
   L'hiver est ici dans toute son horreur ; je suis dans les jardins ou au coin de mon feu ; on ne peut s'amuser à rien, SÉV. 22 nov. 1671.
   Ces secondes vies que notre faiblesse nous fait inventer pour couvrir en quelque sorte l'horreur de la mort, BOSSUET le Tellier..
   Partez ; mais à ces mots les champions pâlissent, De l'horreur du péril leurs courages frémissent, BOILEAU Lutrin, IV, vers supprimés..
   Mais à mes tristes yeux votre mort préparée Dans toute son horreur ne s'était pas montrée, RAC. Baj. II, 5.
   C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit : Ma mère Jésabel devant moi s'est montrée, Comme au jour de sa mort pompeusement parée, RAC. Ath. II, 5.
   Et que les mêmes coups Dans l'horreur du tombeau nous réunissent tous, VOLT. Adél. IV, 5.
   Il n'y a pas trois cents ans que je [Phénix] vis ici la nature sauvage dans toute son horreur, VOLT. Princ. de Babyl. 6.
   Ainsi de Mahomet vous regrettez les fers, Le tumulte des camps, cette horreur des déserts, VOLT. Fanat. I, 2.
   Quoi ! j'ai percé l'horreur de cette nuit profonde, C. DELAV. Paria, I, 2.
   L'horreur d'un supplice, la cruauté d'un supplice.
   Fig. Il se dit des souffrances morales. Vous ne connaissez pas toute l'horreur de sa situation. Pour comble d'horreur. L'horreur de ma misère.
   Une belle horreur, se dit des choses qui font éprouver un sentiment d'effroi mêlé d'admiration. La belle horreur d'un orage.
   Bien que les poëtes excellents, qui ont quelquefois le secret de nous faire sentir des chagrins délicieux et des tristesses agréables, aient encore celui de nous faire voir de belles horreurs, BRÉBEUF Pharsale, Avert. sur la 3e partie..
   Enfin le jour, un jour sombre parut ; il vint s'ajouter à cette grande horreur [l'incendie de Moscou], la pâlir, lui ôter son éclat, SÉGUR Hist. de Nap. VIII, 6.
   Il se dit au pluriel dans un sens analogue. Les horreurs de la guerre, de la famine. Être en proie aux horreurs de la misère.
   Il a dans ces horreurs [les agitations d'une insomnie cruelle] passé toute la nuit, RAC. Esth. II, 1.
   Lucrèce, chez les Romains, avait fait son poëme de la nature ; Virgile, ses Bucoliques ; Cicéron, ses livres de philosophie, dans les horreurs de la guerre civile, VOLT. Moeurs, 82.
   Peux-tu mêler l'amour à ces moments d'horreurs ?, VOLT. Alz. IV, 4.
   Ô frère, ô triste objet d'un amour plein d'horreurs, VOLT. Fanat. V, 4.
   Tu [France] ne sens point du nord les glaçantes horreurs, A. CHÉN. Hymne à la France..
   Les horreurs de la mort, les angoisses de l'agonie.
   Par extension.
   Le duc de Grammont était lors dans les horreurs de la taille [l'opération par laquelle on extrait la pierre de la vessie], SAINT-SIMON 33, 129.
   L'énormité d'une action cruelle, infâme.
   Quelle horreur d'embrasser un homme dont l'épée De toute ma famille a la trame coupée !, CORN. Hor. V, 3.
   On fait plus, on m'impute un coup si plein d'horreur Pour me faire un passage à vous percer le coeur, CORN. Rod. V, 4.
   Un tel excès d'horreur rend mon âme interdite, RAC. Phèdre, IV, 2.
   La multitude et l'horreur de vos iniquités, MASS. Carême, Fausse conf..
   Hélas ! le crime veille et son horreur me suit, VOLT. Zaïre, V, 8.
   Dans quel palais profane a-t-on vu plus d'horreur !, VOLT. Olympie, V, 7.
   Tant d'horreur n'entre point dans une âme si belle, VOLT. Tancr. III, 3.
   Il se trame ici quelque horreur, BEAUMARCH. Mère coup. I, 2.
   Il se dit au pluriel dans le même sens. La vie de ce tyran n'est qu'un tissu d'horreurs.
   Il faut que le courroux du ciel l'accable quelque jour.... il me fait voir tant d'horreurs que je souhaiterais qu'il fût déjà je ne sais où, MOL. D. Juan, I, 1.
   Mon esprit ne se résoudrait jamais à se jeter parmi tant d'horreurs [les excès des révolutionnaires anglais], si la constance admirable avec laquelle cette princesse a soutenu ces calamités ne surpassait de bien loin les crimes qui les ont causées, BOSSUET Reine d'Anglet..
   Et je l'ai vue aussi cette cour peu sincère Des crimes de Néron approuver les horreurs, RAC. Bérén. II, 2.
   De toutes les horreurs, va, comble la mesure, RAC. Athal. III, 5.
   Il retrace vivement à notre imagination les horreurs d'une vie entière de crime, MASS. Carême, Lazare..
   C'était un débordement de l'armée qui se mit à piller, violer, massacrer, et faire toutes les horreurs que la licence la plus effrénée inspire, SAINT-SIMON 29, 88.
   On ne connaît que trop les étonnantes horreurs d'Alexandre VI, VOLT. Jenni, 11.
   Les horreurs qui accompagnèrent la conquête de cet État et la tyrannie qui la suivit en firent un désert, RAYNAL Hist. phil. II, 19.
   Si l'ennemi échappait à ce danger [l'incendie de Moscou], du moins n'aurait-il plus d'asile, plus de ressources ; et l'horreur d'un si grand désastre, dont on saurait bien l'accuser, soulèverait toute la Russie, SÉGUR Hist. de Nap. VIII, 2.
   Les choses déshonorantes qu'on attribue à quelqu'un. On m'a dit des horreurs de cet homme-là.
   Pour moi qui, quoique très jeune alors, ai vu naître toutes ces horreurs [libelles diffamatoires], je sais très bien que l'envie en fut la seule cause, VOLT. Mélang. litt. Mém. sur la satire, la sat. après Despréaux..
   Existe-t-il, a-t-il jamais existé un méchant assez artificieux pour donner de la consistance aux horreurs qu'il débite d'autrui par les horreurs qu'il confesse de lui-même ?, DIDEROT Claude et Nér. I, 61.
   Y pensez-vous, monsieur ? quoi ! Florise et Géronte Vous comblent d'amitié, de plaisirs et d'honneurs, Et vous mandez sur eux quatre pages d'horreurs !, GRESSET Méchant, II, 1.
   Basile : De toutes les choses sérieuses, le mariage étant la plus bouffonne, j'avais pensé.... - Suzanne : Des horreurs, BEAUMARCH. Mar. de Fig. I, 9.
   Par extension et plaisanterie.
   On m'a dit mille horreurs de cette montagne de Tarare, SÉV. 23.
   Très familièrement. Injure. Il nous a dit des horreurs.
   Propos obscènes. Il s'approcha de cette femme et lui débita mille horreurs.
   XIIe s.
   De poür [de peur] li cuilverz trestremble, Fremist, mue colors sovent..., Quant de l'orror sis cuers [son coeur] s'effreie, BENOIT II, 12380.
   El horror [en l'horreur] de la nocturneil vision, cant li songes suet [a coutume de] parpenre les hommes...., Job, p. 481.
   XIVe s.
   Et comme je pleins de paour et de horreur o [avec] grant reverence..., BERCHEURE f° 12.
   XVe s.
   Li crestien n'ont pas horreur De mariage, ains à honneur Le tiennent et à chose honneste, Mystère de Barl. et Josaph. dans GUI DE CAMBRAI, p. 410.
   XVIe s.
   Encores qu'il n'y eust point d'enfers, si a elle [l'âme] horreur de l'offenser [Dieu], CALV. Instit. 6.
   Ainsi combien que de propos deliberé il s'estudiast à mespriser Dieu, si falloit-il que maugré ses dens il l'eust en horreur [en eût peur], CALV. ib. 7.
   Estans prests de commettre toute vilenie et turpitude, sinon que l'horreur de la loy les restreint, CALV. ib. 263.
   .... ce qui est fait pour nous engendrer un plus grand horreur de toutes autres especes d'en abuser, CALV. ib. 289.
   Ô la belle chose que ce seroit, de ne voir point le païsan s'effrayer des gens de guerre, qui sont aujourd'hui l'horreur des villages !, LANOUE 271.
   En cette inconstance que les horreurs de la mort lui apportoient, il lui eschappa que, si le coup estoit à faire, il le feroit encore, D'AUB. Hist. I, 181.
   L'horreur est moindre que la rigueur : aussi elle n'esbranle que la peau et le cuir, PARÉ XX, 20.
   Sain, j'ay eu les maladies beaucoup plus en horreur que lors..., MONT. I, 82.
   Provenç. horror, orror ; espagn. horror ; ital. orrore ; du lat. horrorem, horrere, avoir en horreur, se hérisser, causatif du radical sanscrit, harsch, hérisser. Suivant un mauvais désir de latinisme, on tenta, au XVIe siècle, de faire horreur du masculin comme tant d'autres noms en eur.

Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. . 1872-1877.

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