guérir

guérir
(ghé-rir. La Mothe le Vayer assurait que guarir est aussi bon que guérir, qu'il appelle efféminé et d'enfant de Paris qui change l'a en e ; mais Vaugelas constatait que guérir avait pris le dessus. Au XVIe siècle, Bèze disait : La plupart prononcent guarir et garison, mais la vieille prononciation guairir et guairison me paraît préférable. Au XVIIe siècle garir, forme ancienne, était encore usitée :)
   Et toutes, pour garir, se reforçaient de boire, RÉGNIER Sat. XI.
v. a.
   Délivrer de maladie, faire revenir en santé.
   Pour tout l'or du monde, il ne voudrait pas avoir guéri une personne avec d'autres remèdes que ceux que la faculté permet, MOL. Pourc. I, 7.
   Je ne vois rien de plus ridicule qu'un homme qui se veut mêler d'en guérir un autre, MOL. Mal. im. III, 3.
   Ami, depuis trois jours tu n'es d'aucune fête, Dit-elle, que fais-tu ? pourquoi veux-tu mourir ? Tu souffres ; l'on me dit que je peux te guérir ; Vis et formons ensemble une seule famille : Que mon père ait un fils, et ta mère une fille, A CHÉNIER Idylles, le Malade.
   Par extension. Guérir un rhume. Le quinquina guérit la fièvre d'accès.
   Absolument.
   Tu frappes et guéris, tu perds et ressuscites, RAC. Athalie, III, 7.
   [Sydenham] guérissait parce qu'il avait de l'expérience et qu'il savait attendre, VOLT. Dict. phil. Fièvre..
   L'art de guérir, la médecine.
   S'ils [les magistrats] avaient la véritable justice, si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n'auraient que faire de bonnets carrés : la majesté de ces sciences serait assez vénérable d'elle-même, PASC. Pensées, art. V, 9, édit. LAHURE, 1860.
   Fig. et familièrement. Cela ne guérit de rien, cela ne sert à rien.
   On dit de même :
   De quoi guérira, de quoi me guérira cela ? De quoi est-ce que tout cela guérit ?, MOL. Bourg. gent. III, 3.
   Fig. Guérir quelqu'un, faire disparaître en lui ce qui est comparé à une maladie.
   La mail qui me blessait a daigné me guérir, CORN. Rodog. IV, 3.
   Je vais vous l'expliquer et veux bien vous guérir D'une erreur dangereuse où vous semblez courir, CORN. Nicom. IV, 5.
   Si l'aveuglement des peuples n'eût pas éte incurable, elle [la reine] aurait guéri les esprits, et le parti le plus juste aurait été le plus fort, BOSSUET Reine d'Anglet..
   J'attends avec ardeur Cette eau sainte, cette eau qui peut guérir mon coeur, VOLT. Zaïre, III, 4.
   Guérir quelqu'un de quelque chose, lui ôter quelque inclination, quelque habitude qui n'est pas bonne.
   Le plaisir que je prenais à le relire sans cesse me guérit un peu des romans, J. J. ROUSS. Confess. I.
   Guérir de, se dit avec un infinitif.
   Un soupir, une larme à regret épandue M'aurait déjà guéri de vous avoir perdue, CORN. Poly. II, 2.
   Il se dit aussi des choses qu'on guérit.
   J'ai peur que je ne vous épouvante trop, et que le remède dont je veux guérir votre ennui [chagrin] ne soit plus violent que le mal, VOIT. Lett. 14.
   Le temps, qui guérit tout, guérira tes douleurs, GODEAU Poésies, 2e part. 2e églogue..
   Aussitôt qu'un État devient un peu trop grand, Sa chute doit guérir l'ombrage qu'elle [Rome] en prend, CORN. Nicom. V, 1.
   Du prince la raison a guéri le caprice, ROTR. Vencesl. III, 6.
   Le trépas vient tout guérir ; Mais ne bougeons d'où nous sommes ; Plutôt souffrir que mourir, C'est la devise des hommes, LA FONT. Fabl. I, 16.
   Les hommes, n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, se sont avisés, pour se rendre heureux, de ne point y penser, PASC. Pensées, IV, 2, édit. LAHURE, 1860.
   Par le travail, on charmait l'ennui, on guérissait la langueur de la paresse et les premières rêveries de l'oisiveté, BOSSUET Anne de Gonz..
   Le monde endort les chagrins, mais il ne les guérit pas, MASS. Avent, Afflict..
   J'ai révélé mon coeur au Dieu de l'innocence ; Il a vu mes pleurs pénitents ; Il guérit mes remords, il m'arme de constance ; Les malheureux sont ses enfants, GILBERT Ode imitée de plusieurs psaumes.
   V. n. Recouvrer la santé.
   Il [le médecin] m'ordonne des remèdes, je ne les fais pas et je guéris, MOL. Mot cité en note au troisième placet au roi sur le Tartuffe, Oeuv. compl. édit. variorum de 1862.
   C'était demander à un mourant s'il voulait guérir, VOLT. Louis XIV, 22.
   Fig.
   L'auditeur peut avoir de la commisération pour Antiochus, pour Nicomède, pour Héraclius ; mais, s'il en demeure là, et qu'il ne puisse craindre de tomber dans un pareil malheur, il ne guérira d'aucune passion, CORN. 2e disc..
   Je guéris, et mon coeur, en secret mutiné, S'imposa cet exil dans un séjour champêtre, CORN. Oedipe, IV, 4.
   Le sage guérit de l'ambition par l'ambition même, LA BRUY II.
   Les femmes guérissent de leur paresse par la vanité ou par l'amour, LA BRUY III.
   Athènes tomba, parce que ses erreurs lui parurent si douces qu'elle ne voulut pas en guérir, MONTESQ. Rom. 8.
   Il est des blessures Dont un coeur généreux peut rarement guérir, VOLT. Tancr. V, 3.
   Familièrement. On ne guérit point de la peur, de l'ivrognerie, de la passion du jeu, etc. c'est-à-dire être peureux, ivrogne, joueur, sont des défauts qui ne se corrigent pas. Et activement : On ne guérit point la peur, l'ivrognerie, etc.
   Il se dit des maladies qui s'en vont. Cette blessure est légère et guérira bientôt.
   Se guérir, v. réfl. Être guéri. Il est des maladies dont on ne peut se guérir.
   Nous guérissons infailliblement tous ceux qui se guérissent d'eux-mêmes, VOLT. Dict. phil. Maladie..
   Fig.
   Par le commerce ils se seraient éclairés à la Chine, humanisés dans l'Inde, guéris de tous leurs préjugés avec les Européens, RAYNAL Hist. phil. II, 7.
   Recevoir guérison, en parlant de la maladie, de la lésion. Son mal se guérit. Ces fièvres se guérissent par le quinquina.
   Se procurer la guérison à soi-même. Il s'est guéri par sa persévérance à suivre le régime qui lui avait été recommandé.
   Fig.
   Sitôt que sur un vice ils pensent me confondre, C'est en me guérissant que je sais leur répondre, BOILEAU Épît. VII.
PROVERBES
   C'est un saint qui ne guérit de rien, se dit d'un homme qui a peu de crédit.
   Médecin, guéris-toi toi-même, c'est-à-dire gardez pour vous-même les avis que vous donnez aux autres.
   Quand on est mort, c'est pour longtemps ; On est guéri du mal de dents, De la potence et du carcan, Anc. chanson.
   XIe s.
   Charles respond : Encor porrat garir [se sauver, se garantir], Ch. de Rol. X.
   [Toi] Qui Daniel des lions guaresis, ib. CLXXIII.
   Assoudrai vous pur vos ames guarir, ib. LXXXVII.
   Deus le guarit qu'al cors [l'épieu] ne l'a toché, ib. CI.
   Nel puet guarir ses escuz ne sa broine [cuirasse], ib. CXV.
   XIIe s.
   Garisez s'ame de peine et de torment, Ronc. p. 103.
   Car nus [nul] n'ert [ne sera] jà de ces douz maus garis, Se il n'est touz de fine amor espris, Couci, p. 125.
   Mult malades [il] guari de sun relief demaine [par son secours souverain] ; La fille à un riche humme en devint tute saine, Qui out esté fievrose mainte lunge semaine, Th. le mart. 95.
   Abisaï le fiz Sarvie guarid [garantit] le rei e ferid cel vassal. si l'ocist, Rois, p, 203. Ysaias cumandad que l'um figes li portast, si en fist un emplastre, e fist la mettre sur un clou que li reis out ù il se doleit, si en guarrid, ib. 417.
   XIIIe s.
   Ne te gariroit pas tout li ors de Baviere, Que cest bois ne te soit à tousjours mais litiere, Berte, XX.
   De prester à usure mout bien nous guerirons [nous nous soutiendrons bien en prêtant], ib. LXXVII.
   D'une pierre fu li mordens [agrafe] Qui garissoit du mal des dens, la Rose, 1084.
   XIVe s.
   À Nicaise de Boussut, qui fut navré de mons. Willaume de Masteng, pour li faire warir...., CAFFIAUX Abattis de maisons, p. 9.
   XVIe s.
   La chaussure patricienne ne guarit pas de la goutte aux pieds, AMYOT Morales, t. I, p. 106, dans RAYNOUARD, Lexique. Je le pansay, Dieu le guarit, Mot d'Ambroise Paré..
   Picard, garir ; Berry, garir, guarir ; provenç. garir, guarir, guerir ; ital. guarire ; du germanique : goth. warjan ; anc. h. allem. werjan ; allem. mod. wehren, défendre, protéger, ce qui est aussi le sens propre et primitif de guérir.

Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. . 1872-1877.

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