- enivrer
- (an-ni-vré, an prononcé comme dans antérieur ; quelques-uns disent é-ni-vré ; mais cette prononciation est contre l'usage et fautive) v. a.1° Causer l'ivresse. Un verre de vin l'enivre.• Du sommeil et du vin les vapeurs les enivrent, DELILLE Énéide, IX..Absolument. Certains vins enivrent très vite. La fumée de tabac enivre.Faire boire jusqu'à l'ivresse. Ses camarades l'enivrèrent.• On les invita à monter sur les vaisseaux, on les enivra, on les mit aux fers, on leva l'ancre, et l'on tira le canon sur tout ce qui restait d'Indiens au rivage, RAYNAL Hist. phil. XVIII, 21.2° Fig. Faire pour ainsi dire boire ce qui cause une ivresse morale. Enivrer quelqu'un de louanges.• Elle n'a point trouvé la pompe et la mollesse Dont la cour des Tarquins enivra sa jeunesse, VOLT. Brutus, I, 2.• C'est moi qui, les regards attachés sur les siens, L'enivrai du poison de nos longs entretiens, DUCIS Othello. III, 5.Il se dit aussi des choses qui causent une ivresse morale.• Sotte présomption, vous m'enivrez sans boire, RÉGNIER Sat. XIV.• Il est d'autres erreurs dont l'aimable poison D'un charme bien plus doux enivre la raison, BOILEAU Sat. IV.• Qu'heureux est le mortel qui, du monde ignoré, Vit content de soi-même en un coin retiré, Que l'amour de ce rien qu'on nomme renommée N'a jamais enivré d'une vaine fumée !, BOILEAU Épît. VI.• Tu avais un peu négligé mes préceptes quand la trop grande prospérité enivra ton coeur, FÉN. Dial. des morts anc. XXIV.• L'amour, la gloire, le génie Ont trop enivré mes beaux jours, BÉRANGER M. Stuart..Absolument. La prospérité enivre.• L'Amour alors près de nos mères, Faisant chorus, battait des mains, Rapprochait les coeurs et les verres, Enivrait avec tous les vins, BÉRANG. Trinquons..3° S'enivrer, v. réfl. Se mettre en état d'ivresse. Ce malheureux s'enivre en secret.• Ayant bu du vin, il s'enivra, et parut nu dans sa tente, SACI Bible, Genèse, IX, 21.• Il hante la taverne et souvent il s'enivre, LA FONT. Fabl. XII, 19.• Le grand s'enivre de meilleur vin que l'homme du peuple : seule différence que la crapule laisse entre les conditions les plus disproportionnées, entre le seigneur et l'estafier, LA BRUY. IX..Fig.• Je n'aime point à m'enivrer d'écriture, SÉV. 224.• Je l'ai vu vers le temple où son hymen s'apprête S'enivrer en marchant du plaisir de la voir, RAC. Andr. v, 2.• Rends-lui compte du sang dont tu t'es enivrée, RAC. Athal. v, 5.• Il s'enivre à vos yeux de l'encens des humains, VOLT. Brut. III, 7.• C'était [Julien] un avocat qui pouvait s'enivrer de sa cause, VOLT. Philos. v, 413.• Les femmes surtout s'enivrèrent et du livre et de l'auteur, J. J. ROUSS. Conf. XI.• L'imprudente Didon tendrement le caresse, Le tient sur ses genoux, entre ses bras le presse, S'enivre de sa vue, DELILLE Énéide, I.• Bien qu'il ait besoin d'un avenir indéfini, il s'enivre du présent, STAËL Corinne, VIII, 2.• Enivrons-nous de poésie, Nos coeurs n'en aimeront que mieux, BÉRANGER les Sciences..Familièrement. Il s'enivre de son vin, c'est-à-dire il a trop bonne opinion de lui-même, il s'entête de ses propres idées.XIIe s.• ....Servir as feluns.... est ses saetes de sanc juste enivrer, Th. le mart. 89.• E out cumanded à ses humes qu'il guetassent quant Amon fut enivrez, e, quant il leur dirreit, oceissent Amon, Rois, p. 166.• N'ai beu ne vin ne el [autre chose], par unt [par quoi] l'um se poisse enivrer, ib. 4.XIIIe s.• C'est [l'amour] la soif qui tousjours est ivre, Yvresce qui de soif s'enyvre, la Rose, 4324.• Trop sunt à grant meschief livré Cuer qui d'Amors sunt enivré, ib. 4630.• Qui bien veut amor descrivre, Amors est et male et bone ; Le plus mesurable enivre, Et le plus sage embricone [rend fou], Hist. littér. de la Fr. t. XXIII, p. 753.• Cist henas [coupe] est li galices [calice] à qui sainz esperiz [le Saint Esprit] ennivre ses feels de s'amor, Psautier, f° 30.XIVe s.• Et la biauté qui a mon cuer ravi, Et le plaisir enyvré de folour, Le dous regart qui me mist en errour...., MACHAUT p. 56.• Qui s'enyvre, il se desnourrist, Car tout le foie se pourrist, J. BRUYANT dans Ménagier, t. II, p. 14.XVIe s.• Vous n'oyez que cris, et d'enfants suppliciez, et de maistres enyvrez en leur cholere, MONT. I, 183.• Ny le drap enyvré des eaux du Gobelin, RONS. 801.Provenç. enieurar, eniurar ; du latin inebriare, de in, et ebrius, ivre.SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIREENIVRER. Ajoutez :4°
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.