- désoler
- (dé-zo-lé) v. a.1° Faire la solitude, ravager.• Désoler la campagne, VAUGEL. Q. C. liv. III, dans RICHELET.• La mort a désolé sa pauvre famille, PATRU Plaidoyer 8, dans RICHELET.• Le Jourdain ne voit plus l'Arabe vagabond, Comme au temps de vos rois, désoler ses rivages, RAC. Athal. II, 5.• Nous nous sommes mis en état de désoler ces barbares, FÉN. Tél. X..• Dans les champs que l'hiver désole, Flore vient rétablir sa cour, J. B. ROUSS. Cantate, Circé..2° Causer peine et tourment par ce qui ravage, appauvrit, etc.• Cette taille [taxe] désole cette élection et réduit les trois quarts de ses habitants au pain d'orge et d'avoine et à n'avoir pas un écu d'habits sur le corps, VAUBAN Dîme, p. 162.• On verra, sous le nom du plus juste des princes, Un perfide étranger désoler vos provinces, RAC. Esth. III, 4.3° Causer une grande affliction. La mort de son ami le désole.• Et c'est, grands du monde qui m'écoutez, ce qui devrait aujourd'hui vous affliger ou même vous désoler, BOURD. Nativ. de J. C. 2e Avent, p. 529.• Ces neveux affamés, dont l'importun visage De mon bien à mes yeux fait déjà le partage.... Je me fais un plaisir, à ne vous rien celer, De pouvoir, moi vivant, dans peu les désoler, BOILEAU Sat. X..• Quoi toujours de ce juif l'image vous désole !, RAC. Esth. III, 2.4° Par exagération, contrarier. Ce contre-temps me désole. Le froid nous désole.• Il prit les moeurs des Perses pour ne pas les désoler, MONTESQ. Espr. X, 14.Importuner, incommoder. Les solliciteurs le désolent. Les guêpes désolent ce cheval.5° Se désoler, v. réfl. S'abandonner à une grande affliction. Il se désole nuit et jour.• Car tu ne seras point de ces jaloux affreux, Habiles à se rendre inquiets, malheureux, Qui, tandis qu'une épouse à leurs yeux se désole, Pensent toujours qu'un autre en secret la console, BOILEAU Sat. X..Être contrarié. Je me désole de ce qui vous arrive.Se causer réciproquement de grandes afflictions. Cet homme et cette femme, mal mariés, se désolent l'un l'autre.XIVe s.• Toutes choses à Rome estoient troublées et desolées, BERCHEURE f° 67, recto..• Il gisoit en son lit tristes et desolez, BERCHEURE f° 40, verso..• Les tyrans qui par violence desolent et gastent les cités, ORESME Eth. 111.• Li uns occist un prestre à son col une estole ; Li autres un moustier par sa foleur desole, Guesclin. 17547.• Ahi ! sire, font-il, pour Dieu de trinité, Faites laissier l'assaut : tout sommes desolé Par Gaufrois le traïstre qu'est plains de cruauté, Baud. de Seb. IV, 306.XVe s.• Mais estoient de la mort de lui [Jacques d'Artevelle] courroucés et desolés, FROISS. I, I, 249.• Sera l'isle de tous poins desolée, Qui depuis fut Albions appellée, E. DESCH. Proph. de Merlin..• Et puis quant Mont-Aguillon fut rendu, le conte de Salsebri le fist abatre et du tout desoler, FENIN 1423.• Car souvent [ils] ont fait decoler Plusieurs nobles, et desoller Leurs lieux et habitations, La bataille du Liege.XVIe s.• Et par autant qu'ung royaulme ainsy desolé seroyt facillement ruyné, RAB. Garg. I, 50.• Par luy la foy se fausse, et mille maux divers Par luy se sont campez en ce grand univers. Qui de toute bonté les terres desolerent, RONS. 800.Provenç. et espagn. desolar ; ital. desolare ; du latin desolare, de la préposition de, et solus, seul : rendre seul, désert. La série des sens est : rendre seul, ravager ; rendre seul, délaisser, affliger. Le sens d'affliction ne peut venir du latin so lari, consoler, avec le préfixe de ; il n'y a rien dans l'historique qui autorise une telle admission. La série des sens suffit sans qu'on introduise une double racine. Tout au plus peut-on penser que consoler et désoler, qui d'ailleurs sont du même radical, ont réagi l'un sur l'autre, et que désoler en a pris plus facilement le sens d'affliger.
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.