- déroger
- (dé-ro-jé. Le g prend un e devant a ou o : nous dérogeons, je dérogeais) v. n.1° Terme de jurisprudence. Prendre des dispositions qui sont différentes de dispositions antérieures ou qui y sont contraires. Déroger à une transaction par une autre. Les deux parties ont dérogé à leur contrat.Il se dit aussi de lois ou de dispositions qui en modifient ou révoquent une autre. Les priviléges dérogent au droit commun.• À la place de l'héritier que la nature appelait, ils mirent celui que demandait la conjoncture, se persuadant que la nécessité a ses lois qui dérogent à toutes les autres, ROLLIN Hist. anc. t. VI, p. 15, dans POUGENS.• Leurs lois ont dérogé aux lois de la nature pour assurer la tranquillité, pour encourager l'industrie, pour affermir la liberté, RAYNAL Hist. phil. XVI, 13.2° Ne pas se conformer à, porter atteinte à. Déroger aux droits de quelqu'un.• Je sais bien que toute la gloire de la sainte Vierge vient de ce qu'elle est mère du Sauveur ; et je dis de plus qu'il y a beaucoup de gloire au Sauveur d'être le fils de la Vierge ; n'appréhendez pas, chrétiens, que je veuille déroger à la grandeur de mon maître par cette proposition, BOSSUET 2e serm. Comp. de la sainte Vierge, 1.• Vous diriez qu'on déroge à l'amour de Dieu en se plaisant à le voir, BOSSUET Or. 5.• Maxime qui, bien loin de déroger à la grandeur des souverains de la terre, ne sert au contraire qu'à la relever et à lui donner plus d'éclat, BOURDAL. 2e disc. après Pâq. Dominic. t. II, p. 10.• Dieu, en vous donnant ces biens, n'a jamais eu intention de déroger à ses droits, BOURDAL. Dim. de la septuagés. Dominic. t. I, p. 351.3° Déroger à noblesse, ou, absolument, déroger, faire une chose qui entraînait la perte des droits et des priviléges de la noblesse. Déroger en se mettant dans le commerce.Par extension. Le commerce dérogeait, il faisait que le noble qui commerçait n'était plus noble.• Il faut avouer que la nation française, aussi polie qu'aucune nation, est encore dans cette barbarie, qu'elle doute si les sciences poussées à une certaine perfection ne dérogent point, et s'il n'est point plus noble de ne rien savoir, FONTEN. l'Hospital..Fig.• Quant aux romans tout à fait inventés, ils étaient continuellement, quelle que fût l'époque et le nom des personnages, la reproduction de l'élégante politesse du XVIIe siècle ; ils ne dérogeaient pas jusqu'à la vérité, VILLEMAIN Litt. fr. XVIIIe siècle, 2e part. 1re leçon..4° Faire une chose indigne de.• Ne dérogez pas à votre caractère par une si lâche complaisance, Dict. de l'Acad..• À Dieu ne plaise que je prétende en aucune sorte déroger à la vérité et à la sainteté de cette morale, BOURD. Pensées, liv. I, p. 25.5° Déroger se dit, surtout avec ironie, pour condescendre, s'abaisser à. Il voulut bien déroger jusques-là.• Que des traces du monstre [la chicane] on purge la tribune ; J'y monte ; et mes talents, voués à la fortune, Jusqu'à la prose enco voudront bien déroger, PIRON Métrom. III, 7.Déroger se conjugue avec l'auxiliaire avoir.XIVe s.• Nul droit positif ne peut desroguer à droit naturel, ne obligier à faire contre droit naturel, ORESME Eth. 182.XVIe s.• Car cueur, parlant soubz bouche desloyalle, N'est qu'arcenic dedans le miel logé ; Car trop desrogue à dignité royalle, J. MAROT V, 194.• Ainsi nous avons deux choses à considerer, quand nous parlons de cette humanité ; c'est que nous ne lui ostions pas la verité de sa nature, et que nous ne desrogions rien à sa condition glorieuse, CALV. 201.• L'homme mortel usurpe l'office de Dieu, et derogue à sa majesté, quand il se fait juge de ses prochains, CALV. 309.• Il n'est point à nous de rien deroguer à Dieu, quoy que nous en parlions impertinemment, CALV. Instit. 23.• On ne peut pas d'iceux [passages] inferer que Dieu ait rien derogué à son premier conseil, CALV. ib. 159.• Je ne veux point, dit-il, par ambition deroguer à personne, CALV. ib. 905.• Les Atheniens, derogans à la loi de leur ostracisme, rappelerent tous ceulx qu'ilz avoient releguez, AMYOT Arist. 21.• Derogant en cela la dignité du souverain magistrat, et rendant, par maniere de dire, le consulat un tribunat du peuple, AMYOT Pomp. 66.• Cela ne desroge à la gloire de ces anciens aucteurs qui...., MONT. III, 354.• Mon histoire ne desrogera pas à la bien-seance, de vous conter ce qui...., D'AUB. Hist. I, 70.• Or, tout cecy ne deroge aucunement à la doctrine commune, que le monde est faict pour l'homme, et l'homme pour Dieu, CHARRON Sagesse, I, 42.Provenç. et espagn. derogar ; ital. derogare, dirogare ; du latin derogare, déroger à une loi, en retrancher une disposition ; de la préposition de, et rogare, porter une loi, demander (voy. rogatoire).SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIREDÉROGER. Ajoutez :6° Activement, ôter par dérogation.• Le Fils de Dieu lui donnait toujours [à l'Église judaïque] la même autorité qu'elle avait pour soutenir et instruire les enfants de Dieu, ne lui dérogeant la créance que dans le point que Dieu avait révélé par tant de miracles ; car la croyance qu'il donnait par ces miracles à l'Eglise chrétienne ne dérogeait qu'à cet égard à la foi de l'Église judaïque, BOSSUET Médit. Évang. Serm. de N. S. 55e journée..
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.