- curée
- (ku-rée) s. f.1° Terme de vénerie. Portion de la bête que l'on donne aux chiens après qu'elle est prise. Curée chaude, morceau de la bête qu'on donne aux chiens aussitôt qu'ils l'ont prise. Curée froide, celle qu'on leur prépare ailleurs et qui se fait de morceaux de pain trempés au sang de la bête, qu'on met sur sa peau avec quelques morceaux de chair tels que la cervelle et le col.• Témoin les chiens dont on anime le courage pour la chasse d'un animal en leur donnant curée, BOSSUET Conn. de Dieu, V, 4.Sonner la curée, sonner du cor pour appeler les chiens à la curée.• L'âme plus altérée Que ne l'aurait un chien au son de la curée, RÉGNIER Sat. X.Mettre les chiens en curée, augmenter leur ardeur par la curée qu'on leur donne. On dit aussi que les chiens sont en curée, quand ils sont animés par l'attente de la curée.Fig. Mettre en curée, exciter par l'appât de quelque avantage ; être en curée, être excité par quelque appât.• M. le duc, en curée de l'usurpation du service seul de la communion du roi, SAINT-SIMON 189, 26.Faire curée, se dit des chiens qui dévorent la bête avant l'arrivée du veneur.• Il tombe en ce moment, La meute en fait curée ; il lui fut inutile De pleurer aux veneurs à sa mort arrivés, LA FONT. Fabl. V, 15.Fig.• Et ce sont vrais Satans dont la gueule altérée De l'honneur féminin cherche à faire curée, MOL. Éc. des f. III, 1.Défendre la curée, empêcher à coups de fouet que les chiens n'approchent trop tôt de la curée.2° Par extension, toute espèce de pitance.• Eh ! qu'importe quel animal ? Dit l'un de ces mâtins, voilà toujours curée, LA FONT. Fabl. VIII, 25.• [La grenouille] Prétend qu'elle en fera gorge chaude et curée, LA FONT. Fabl. IV, 11.• [le Sénat] Dont plus de la moitié piteusement étale Une indigne curée aux vautours de Pharsale, CORN. Pomp. I, 1.Fig.• Pour recueillir les restes de Moscou, dont l'incendie n'a que trop légitimé le pillage, et pour arracher les soldats à cette grande curée, SÉGUR Hist. de Napol. VIII, 7.• Cette convoitise des offices et états (curée autrefois réservée aux nobles limiers) est devenue plus âpre depuis que tous y peuvent prétendre, P. L. COUR. I, 168.Être âpre à la curée, être très avide de butin, de lucre.• Le ministre se mit à rire en me voyant si âpre à la curée, LESAGE Gil Blas, VIII, 9.Curée des places, la poursuite des places, particulièrement après un changement de régime qui fait beaucoup de vacances. La curée qui suivit la révolution de 1830. La Curée, titre d'une pièce des ïambes de BARBIER.XIVe s.• L'apprentis demande comme on doit faire la cuirée aux chiens. Modus respond : pren le foye du cerf, le poulmon, le jargel et le cuer, et soit descoupé par morceaux sur le cuir et sur le sang qui est sur le cuir, et fay effondre la pance et vuidier et très bien laver, et puis descoupper sur le cuir, avecques les autres choses, et soit la brouaille ou bouelle [boyaux] gardée à part ; et puis pren du pain, et soit descouppé par morceaux, et qu'il y ait plus pain que chair ; puis soit soublevé le cuir hault aux mains d'un chascun costé, et soit meslé ensemble aux mains la chair et le pain dedans le cuir ; et quant il sera bien meslé, si soit estendu le cuir à terre, et soit ce dedens esparty sur le cuir ; et puis doit on laisser aller les chiens sur le cuir à la cuirée, Modus, f° XXIII, verso.XVe s.• La prise de l'ourse vue et la curée faite, jà estoit basse nonne, FROISS. III, IV, 24.• Lequel veneur pria au dit Symon qu'il voulsist aler querir un cheval pour faire la cuirée aux loups, auxquels loups icellui veneur avoit entention de chacier, DU CANGE cuirea..XVIe s.• Alleguant que de laditte entreprise, ores qu'elle fut bien executée, ne dependoit point tant d'avantage aux affaires du Roy, comme de desavantage d'une curée donnée (si mal en advenoit) aux ennemis, M. DU BELL. 367.• Scribonia, conseillant Libo son nepveu de se tuer plus tost que d'attendre la main de la justice, luy disoit que c'estoit proprement faire l'affaire d'aultruy, que de conserver sa vie pour la remettre entre les mains de ceulx qui la viendroient chercher trois ou quatre jours aprez, et que c'estoit servir ses ennemis, de garder son sang pour leur en faire curée, MONT. II, 32.Cuir, parce que, comme on voit dans Modus, la curée se donnait dans un cuir. à la vérité on aurait pu songer à courée, corée (de cor, coeur), mot très usité dans l'ancien français et dans quelques provinces pour signifier les viscères de la poitrine (coeur et poumon), à cause que ces viscères du cerf se donnaient aux chiens en curée ; mais la forme cuirée et le fait qu'on ne trouve pas corée avec le sens de curée, excluent cette étymologie.• Voici un exemple de courée : Le curé incontinent s'en va acheter force courées [mou] de veau et de mouton, et les mit toutes cuire en une grande oulle, DESPER. Contes, XXXVI.
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.