- soin
- (soin ; l'n ne se lie pas : un soin extrême ; au pl. l's se lie : des soin-z extrêmes) s. m.1° Attention, application de l'esprit à une chose, à faire quelque chose.• Où l'amour de la terre et le soin de la chair Aux fragiles plaisirs ayant ouvert la porte, MALH. I, 4.• Ainsi donc un sujet téméraire A si peu de respect et de soin de me plaire !, CORN. Cid, II, 6.• Et comme à l'échauffer j'appliquerai mes soins, CORN. Nicom. I, 5.• La chose allait à bien par son soin diligent, LA FONT. Fabl. VII, 10.• Pour toi l'astre du jour prend des soins superflus [tu es aveugle, et le soleil luit en vain], LA FONT. Fabl. VIII, 1.• Eh bien, défendez-vous au sage De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ?, LA FONT. ib. XI, 8.• Il y a trop d'affaires de se tirer d'un rhumatisme... je ne balance point de mettre tout mon soin au rétablissement parfait de ma santé, SÉV. 8 mars 1676.• Les soins que vous avez de m'écrire me sont de continuelles marques de votre amitié, SÉV. 30 juin 1677.• jamais plante ne fut cultivée avec plus de soin, BOSSUET Ann. de Gonz..• La bonté du naturel prévint en M. le Tellier les soins de l'éducation, FLÉCH. le Tellier..• Même elle avait encor cet éclat emprunté Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage, RAC. Athal. II, 5.• D'où vient que d'un soin si cruel L'injuste Agamemnon m'écarte de l'autel ?, RAC. Iphig. III, 2.• Les soins que j'ai pris pour vous rendre sage, FÉN. Télém. XII.• L'unique soin des enfants est de trouver l'endroit faible de leurs maîtres, comme de tous ceux à qui ils sont soumis, LA BRUY. XI.• J'apprends avec plaisir le soin que tu te donnes de l'éducation de la tienne [fille], MONTESQ. Lett. pers. 71.Prendre soin de avec un infinitif, veiller à, faire en sorte que.• Le maître qui prit soin d'instruire ma jeunesse Ne m'a jamais appris à faire une bassesse, CORN. Nicom. II, 3.• Quelle importune main, en formant tous ces noeuds, A pris soin sur mon front d'assembler mes cheveux ?, RAC. Phèdre, I, 3.• Les amants de ma mère Pénélope furent surpris de mon départ ; j'avais pris soin de le leur cacher, connaissant leur perfidie, FÉN. Télém. I.Prendre soin, avoir soin de quelque chose, veiller à ce que quelque chose se conserve, réussisse.• C'est lui [l'amour] qui, sous tes lois me tenant asservie, M'a fait en ta faveur prendre soin de ma vie, CORN. Cinna, III, 4.• Vous voyez bien que je regarde ma santé comme une chose qui est à vous, puisque j'en prends un soin si particulier, SÉV. 2 sept. 1676.• En vérité, j'ai trop d'obligation à Euripide pour ne pas prendre quelque soin de sa mémoire, et pour laisser échapper l'occasion de le réconcilier avec ces messieurs, RAC. Iphig. Préf..• Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire, RAC. Phèdre, I, 3.Prendre soin, avoir soin de quelqu'un, signifie aussi pourvoir à son salut, à ses besoins, à ses nécessités, à sa fortune.• De vous-même, seigneur, daignez mieux prendre soin, CORN. Héracl. I, 3.• Il a parlé au roi qui lui a dit que, s'il servait avec application, on aurait soin de lui, SÉV. 500.• Rois, prenez soin de l'absent Contre sa langue homicide [de la calomnie], RAC. Esth. III, 3.• Mais de vos premiers ans quelles mains ont pris soin ?, RAC. Athal. II, 7.Populairement. Avoir soin de ses fièvres, se bien nourrir.2° La charge, le devoir de prendre soin de quelque chose, d'y veiller. je vous confie le soin de veiller sur mes affaires. C'est lui qui a le soin de la cave.• Le soin de la république, PERROT Tacite, 11.• [Vatel] dont la bonne tête était capable de soutenir tout le soin d'un État, SÉV. 24 avr. 1671.• Et depuis encore ne s'est-elle pas appliquée en toutes rencontres à conserver cette même intelligence [entre les royaumes de France et d'Angleterre] ? ces soins regardent maintenant Vos Altesses Royales, BOSSUET Reine d'Anglet..• Dès l'âge de quinze ans, elle [Henriette] fut capable de ces soins [protéger les catholiques anglais], BOSSUET ib..• Le soin de tes sujets te rappelle à Versailles, BOILEAU Épît. VIII.• Et vous me chargez, moi, du soin de son supplice !, VOLT. Adél. du Guesclin. IV, 5.Le soin d'une injure, la charge de venger une injure.• Et je charge un amant du soin de mon injure, RAC. Andr. V, 2.Fig. Il laisse au temps le soin de venger sa mémoire.Les soins du ménage, les détails du ménage et l'attention qu'ils demandent.On dit de même : les soins d'une maison, d'une ferme.3° Souci, inquiétude, préoccupation.• Si mes amis ont quelque soin De ma pitoyable aventure, MALH. V, 7.• Je dors ici dix heures toutes les nuits, et sans que jamais aucun soin me réveille, DESC. Lett. à Balzac, 29 mars 1631.• [Le chat vit] Son rat qui se tenait alerte et sur ses gardes ; Ah ! mon frère, dit-il, viens m'embrasser ; ton soin Me fait injure..., LA FONT. Fabl. VIII, 22.• À quoi bon charger votre vie Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous ?, LA FONT. ib. XI, 8.• N'ayez aucun soin de cette affaire ; c'est la mienne et plus que la mienne, SÉV. 19 août 1675.• Votre santé est l'unique soin de ma vie, SÉV. à Mme de Grignan, 9 juin 1677.• En même temps, chrétiens, un autre soin me travaille ; ce n'est pas un ouvrage humain que je médite ; je ne suis pas ici un historien qui..., BOSSUET Reine d'Anglet..• C'est prendre trop de soin [être trop curieux], RAC. Brit. IV, 4.• D'un soin cruel ma joie est ici combattue, RAC. Iphig. II, 2.• Petit séjour commode et sain Où je vis, m'endors et m'éveille, Sans aucun soin du lendemain, DUCIS à son logis..Être en soin, être inquiet, être en peine.• Je suis en soin de ce qu'elle put dire à ses parents...., LA FONT. Diable en enfer.• Changer de lieu, dit-il. - Comment le ferons-nous ? - N'en soyez point en soin : je vous porterai tous, LA FONT. Fabl. X, 4.• Ils ne sont jamais en soin de leur boire et de leur manger non plus que de leurs habits, coucher et lever, ce sont les maîtres qui en sont chargés, VAUBAN Dîme, p. 82.4° Sollicitude.• Tous les jours je l'invoque [Dieu], et d'un soin paternel Il me nourrit des dons offerts sur son autel, RAC. Athal. II, 7.5° Au plur. Services qu'on rend à quelqu'un, attentions qu'on a pour lui.• Ô vous pour qui les dieux ont des soins si pressants, Bourbon, Conti...., LA FONT. Fabl. XII, 25.• Elle a des soins infinis de me divertir, SÉV. 595.• Mme de Coulanges a des soins de moi admirables, SÉV. 4 sept. 1677.• Mmes de Lavardin, de la Troche et de Villars m'accablent de leurs billets et de leurs soins, SÉV. 29 mai 1675.• Je lui rendais [à Mme de la Fayette] beaucoup de soins, par le mouvement de mon coeur, sans que la bienséance ou l'amitié qui nous engage y eût aucune part, SÉV. 3 juin 1693.• Les soins qu'il avait eus de mon enfance, FÉN. Télém. VI.Donner des soins à un malade, avoir des soins d'un malade, l'assister en qualité de médecin.• Pecquet [le médecin] eut de moi des soins extrêmes, SÉV. 58.Politesse, galanterie.• Il rendait assez de soins à Camille, CORN. Hor. Examen..• Il n'est soins empressés, devoirs, respects, services Dont il ne nous ait fait d'amoureux sacrifices, MOL. Femm. sav. IV, 2.• Azélie épuisait tous ces soins délicats Qui voudraient être vus, mais ne se montrent pas, DELILLE. Imag. II.On l'a dit quelquefois au singulier.• Il rendait quelque soin à Mégiste, à Cyane, TH. CORN. Ariane, I, 1.Rendre des soins à quelqu'un, le voir avec assiduité, lui faire la cour.• M. de Vence me rend des soins très obligeants, SÉV. 22 avr. 1672.• Vous connaissez les soins qu'il me rend tous les jours, RAC. Alex. I, 1.Petits soins, toutes sortes de petites galanteries.• De tous les petits soins il devient incapable : Un amant sûr d'être aimé Cesse toujours d'être aimable, DESHOUL. Poés. t. I, p. 68.• Ces petits soins, la grande affaire Et le grand savoir des amants, LAMOTTE Odes, t. I, p. 455, dans POUGENS.Dans le langage des romans de Clélie, de Cyrus, etc. Le village de Petits-Soins, un village de la carte du royaume de Tendre.• Il y a trois sortes de Tendre : Tendre sur estime, Tendre sur inclination et Tendre sur reconnaissance ; lorsque l'on veut arriver à Tendre sur estime, il faut aller d'abord au village de Petits-Soins, BOILEAU Hér. de romans..Être aux petits soins auprès de quelqu'un, avoir des attentions recherchées, délicates, de manière à lui épargner les moindres peines.XIe s.• Por ço n'unt soign de helme ne d'osberc, Ch. de Rol. CCXXXV.XIIe s.• Mais li reis d'Engleterre n'out suing de l'acorder, Th. le mart. 104.XIIIe s.• Son vis [visage] n'a soig [besoin] de mireor, Ne son gent cors de bel ator, Partonopex, ms. de St-Germ. f° 151, dans LACURNE.XIVe s.• La dame moult senée et sage De malades sot [sur] tout l'usage ; De lui garder fu en grant songne, J. DE CONDET p. 87.XVe s.• Disoit qu'il voudroit bien estre joyeux, mais que personne qui vient à soing ne le peut estre, Aresta amorum, p. 35, dans LACURNE.XVIe s.• Estendre le soing de nous au delà de cette vie, MONT. I, 15.• Les bons legislateurs ont eu plus de soing de l'amitié que de la justice, MONT. I, 207.• Tous les jours je lis en des aucteurs, sans soing de leur science, y cherchant leur façon non leur subject, MONT. IV, 43.• Le soing caché se cognoit à la face, RONS. 105.Wallon, sogn, s. f. peur, besogne ; provenç. sonh, soing, suenh ; anc. ital. sogna. Origine douteuse. Plusieurs y voient un dérivé du bas-lat. sunnis, sunnia, sonia, qui signifie empêchement juridique, d'où l'idée de s'arrêter à une affaire difficile, de soin. Sunnis, qui se trouve dans les lois barbares, est un mot germanique. Cependant il faut dire qu'on n'a pas une série d'intermédiaires qui établissent comment le mot est venu du sens d'empêchement juridique à celui de soin ; à moins qu'on ne regarde comme tels es-soine, exemption, et ensoignié, chargé d'embarras, de soucis. Du Cange a mis en avant le lat. somnium, le trouvant dans un glossaire avec le sens de soin ; l'anç. franç. songne et le wallon sogn en viennent sans doute.
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.