- pleurer
- (pleu-ré ; Chifflet, Gramm. p. 98, recommande de ne pas dire plorer) v. n.1° Répandre des larmes.• Pleurez, pleurez, mes yeux, et fondez-vous en eau, CORN. Cid, III, 3.• Je cherche le silence et la nuit pour pleurer, CORN. ib. III, 4.• On pleure pour être plaint ; on pleure pour avoir la réputation d'être tendre ; on pleure pour être pleuré ; enfin on pleure pour éviter la honte de ne pleurer pas, LA ROCHEFOUCAULD Max. 233.• Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés !, SACI Bible, Évang. St Math. v, 5.• Je les relis [vos lettres] .... je ne puis pas seulement approcher des premières lignes sans pleurer du fond de mon coeur, SÉV. à Mme de Grignan, 23 déc. 1671.• Il est vrai qu'il y a des pensées et des paroles qui sont étranges ; mais rien n'est dangereux quand on pleure, SÉV. 29 mai 1675.• Mais que ces retours sont doux, et qu'on a quelquefois de plaisir à pleurer !, SÉV. 16 oct. 1680.• J'apprenais à pleurer devant un grand miroir, BOURSAULT Merc. gal. IV, 2.• Et les plus malheureux osent pleurer le moins, RAC. Iphig. I, 5.• Tout Israël périt : pleurez, mes tristes yeux, RAC. Esth. I, 5.• Pleure, Jérusalem, pleure, cité perfide, RAC. Athal. III, 7.• Tel qui rit vendredi dimanche pleurera, RAC. Plaid. I, 1.• On n'a pas dans le coeur de quoi toujours pleurer, LA BRUY. IV.• Les enfants rient et pleurent facilement, LA BRUY. XI.• Vous avez je ne sais quelle inclination fatale pour la comédie larmoyante, qui abrégera mes jours ; je ne vous en aime pas moins ; mais je pleure dans ma retraite, quand je songe que vous aimez à pleurer à la comédie, VOLT. Lett. d'Argental, 5 sept. 1772.• L'abbé Galiani m'a beaucoup déplu, à moi, en confessant qu'il n'avait jamais pleuré de sa vie, et que la perte de son père, de ses frères, de ses soeurs, de ses maîtresses ne lui avait pas coûté une larme, DIDER. Mém. t. I, p. 255, dans POUGENS.• L'homme pleure, et voilà son plus beau privilége, DELILLE Pit. ch. I.• Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés, Oiseaux chers à Thétys, doux alcyons, pleurez, A. CHÉN. Élég. XX..• Mais si, d'un long crêpe voilée, Mon amante dans la vallée Venait pleurer quand le jour fuit, MILLEVOYE Chute des feuilles..• Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ? Laissons le vent gémir et le flot murmurer ; Revenez, revenez, ô mes tristes pensées ; Je veux rêver et non pleurer, LAMART. Harm. IV, 10.• Elle a dormi quinze ans dans sa couche d'argile, Et rien ne pleure plus sur son dernier asile, LAMART. ib..Pleurer de, avec un substantif.• Je reconnais Néarque, et j'en pleure de joie, CORN. Poly. Il, 6.• Le loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse, LA FONT. I, 5.• Annibal, qui pleura de douleur en cédant aux Romains cette terre où il les avait tant de fois vaincus, MONTESQ. Rom. v..Pleurer de, avec un verbe à l'infinitif.• Alexandre pleura de n'avoir point d'Homère, DELILLE Imag. v..Pleurer sur, déplorer.• Il [Jésus] les avertit [les femmes de Jérusalem] de pleurer et de ne pas pleurer ; de ne pas pleurer sur lui, qui par sa mort allait être glorifié, mais de pleurer sur elles-mêmes et sur leurs enfants, BOURDAL. Myst. Passion de J. C. t. I, p. 242.• [Monime] pleurant sur cette malheureuse beauté qui, au lieu d'un mari, lui avait donné un maître, ROLLIN Hist. anc. Oeuv. t. x, p. 199, dans POUGENS.• C'est une espèce d'Héraclite chrétien, toujours prêt à pleurer sur la folie de ses semblables, DIDER. Mém. t. I, p. 91, dans POUGENS.Pleurer comme un enfant, pleurer abondamment et facilement comme fait un enfant.• Mais enfin, me remettant devant les yeux ce que je devais à son père et à son frère, je n'eus recours qu'à mes larmes : je pleurai comme un enfant, SCARR. Rom. com. I, 15.Pleurer comme une Madeleine, pleurer avec effusion.Familièrement. Pleurer comme un veau, comme une vache, pleurer excessivement.• Pétrarque... En eût de marrison [de chagrin] pleuré comme une vache, RÉGNIER Sat. XI.• Depuis, pour l'amour d'elle, il pleure comme un veau, DANCOURT Sancho Pança, II, 3.On dirait qu'il a pleuré pour avoir un habit, un chapeau, etc. se dit d'un homme qui a un habit écourté, un chapeau trop petit.Il ne lui reste, on ne lui a laissé que les yeux pour pleurer, il a tout perdu, on lui a tout pris.Il pleure d'un oeil et rit de l'autre, se dit d'un homme incertain entre deux sentiments opposés.• Il pleure d'un oeil et il rit de l'autre, LA BRUY. VIII.Jean qui pleure et Jean qui rit, homme qui se laisse aller aux sentiments les plus opposés d'un instant à l'autre ; c'est le titre d'un poëme de Voltaire, où l'auteur montre qu'il y a dans le monde de quoi se réjouir et de quoi s'affliger.2° S. m. Le pleurer.• En quoi consiste le rire et le pleurer, DESC. L'homme..• En cet endroit où il [Homère] fait pleurer Achille et Priam, l'un du souvenir de Patrocle, l'autre de la mort du dernier de ses enfants, il dit qu'ils se soûlent de ce plaisir, il les fait jouir du pleurer comme si c'était quelque chose de délicieux, LA FONT. Psyché, I, p. 96.3° Pleurer se dit des larmes provoquées par quelque chose d'âcre. Les yeux pleurent quand on pèle de l'oignon, quand on est exposé à la fumée.Les yeux lui pleurent, ses yeux pleurent, se dit de quelqu'un qui a une incommodité qui fait que les larmes coulent sans cesse de l'oeil.4° Il se dit du cerf.• La meute en fait curée : il lui fut inutile De pleurer aux veneurs à sa mort arrivés, LA FONT. Fabl. v, 15.5° La vigne pleure, il dégoutte de l'eau de son bois.6° Poétiquement. Se dit du saule pleureur dont les branches semblent pleurer.• Là des saules pensifs qui pleurent sur la rive, V. HUGO F. d'aut. 34.7° V. a. Pleurer quelqu'un, s'affliger de la perte, de la mort, du malheur de quelqu'un.• Cherchez avec soin et faites venir les femmes qui pleurent les morts, envoyez à celles qui y sont les plus habiles, SACI Bible. Jérémie, IX, 17.• Mme de Bersillac est à l'agonie.... elle est mal pleurée ; le père et le mari voudraient qu'elle fût déjà sous terre, SÉV. 24 janv. 1680.• Et vous, messieurs, eussiez-vous pensé, pendant qu'elle versait tant de larmes en ce lieu [pendant l'oraison funèbre de la reine d'Angleterre, sa mère], qu'elle dût sitôt vous y rassembler pour la pleurer elle-même ?, BOSSUET Duch. d'Orl..• Il perd son fils unique.... il remet sur d'autres le soin de le pleurer, il dit : Mon fils est mort, cela fera mourir sa mère, LA BRUY. XI.• Il faut pleurer les hommes à leur naissance, et non pas à leur mort, MONTESQ. Lett. pers. XL..• Drusille, à qui il [Caligula] accorda les honneurs divins, étant morte, c'était un crime de la pleurer, parce qu'elle était déesse, et de ne la pas pleurer parce qu'elle était sa soeur, MONTESQ. Rom. 15.• Ceux qui l'ont méconnu pleureront le grand homme, LAMART. Méd. I, 14.Familièrement. On ne l'a pleuré que d'un oeil, il n'a été regretté qu'en apparence.8° Il se dit des choses regrettées.• Pleure mon infortune, et pour ta récompense Jamais autre douleur ne te fasse pleurer !, MALH. VI, 20.• Elle pleure en secret le mépris de ses charmes, RAC. Andr. I, 1.• Ma mère pleura la profession que j'avais quittée, HAMILT. Gramm. III.• Nous avons pleuré nos plaisirs injustes, et de nouveaux plaisirs ont un moment après essuyé nos larmes, MASS. Carême, Inconstance..• Revenant tout à coup à elle, elle [Mme de la Vallière, à la mort de son fils] dit à ce prélat [qui la consolait] : c'est trop pleurer la mort d'un fils dont je n'ai pas encore assez pleuré la naissance, Mme DE CAYLUS Souvenirs, p. 48, dans POUGENS.• La mère et la femme de Darius ne pleurèrent-elles pas la mort d'Alexandre ?, MONTESQ. Esp. XXX, 24.• Ces mystérieuses relations de l'infortune remplirent mes yeux de larmes ; il y a de la douceur à pleurer sur des maux qui n'ont été pleurés de personne, CHATEAUBR. Amér. Onondagas..• Soit qu'il naisse ou qu'il meure, Il faut que l'homme pleure Ou l'exil ou l'adieu, LAMART. Harm. IV, 5.Ce malheur devrait être pleuré avec des larmes de sang, en larmes de sang, c'est-à-dire il devrait causer la plus vive douleur.Pleurer ses péchés, ses fautes, s'affliger profondément de les avoir commis.• En déplorant vainement les fautes qui ont ruiné nos affaires, une meilleure réflexion nous apprend à déplorer celles qui ont perdu notre éternité, avec cette singulière consolation qu'on les répare quand on les pleure, BOSSUET Reine d'Anglet..• Si, dans le moment que vous pleurez votre péché, vous n'en voulez pas retrancher l'occasion, BOURDAL. Pénitence, 2e avent, p. 476.• Les crimes que vous viendrez pleurer aux pieds des ministres, MASS. Carême, Jeûne..Dans le langage biblique, pleurer sa virginité, se dit d'une jeune fille qui pleure de mourir avant d'avoir été mariée.• Laissez-moi [la fille de Jephté] sur les montagnes pendant deux mois, afin que je pleure ma virginité avec mes compagnes, SACI Bible, Juges, XI, 37.9° Familièrement. Il pleure le pain qu'il mange, se dit d'un avare qui regrette la nourriture qu'il prend.10° Pleurer une larme, verser quelques larmes.• Son oeil tout pénitent ne pleure qu'eau bénite, RÉGNIER Sat. XIII.• Vous auriez peut-être pleuré une petite larme, puisque j'en ai pleuré plus de vingt, SÉV. 112.• J'ai vu Briolle, qui m'a fait pleurer les chaudes larmes par un récit naturel et sincère de cette mort [du prince de Condé], SÉV. 13 déc. 1686.• Larmes du coeur, par le coeur dévorées, Et que les yeux qui les avaient pleurées Ne reconnaîtront plus demain, A. DE MUSSET Poésies nouv. Nuit de décembre.11° Se pleurer, v. réfl. Verser des pleurs sur soi-même.• J'avoue que je me suis pleuré en pleurant un ami qui faisait la douceur de ma vie, et dont la privation se fait sentir à tout moment, FÉN. dans le Dict. de DOCHEZ..• Les poëtes ont dit qu'avant sa dernière heure En sons harmonieux le doux cygne se pleure, LAMART. Socrate..XIe s.• E tantes lermes pur le ton cors pluredes [pleurées], St Alexis, LXXXI.• Ne peut muer que des ieuz il ne plurt, Ch. de Rol. LX.• Il nus [nous] plurrunt [pleureront] de doel et de pitié, ib. CXXX.• [Ils] Plurent lor filz, lor freres, lor neveus, ib. CLXXIV.XIIe s.• Quant de moi [elle] rit, et je l'ai tant plorée, Couci, VI.• Si que souvent [je] chant là où de cuer [je] plor, ib. XVI.• Chascun pleure sa terre et son païs, Quant il se part de ses coraus amis, ib. XXIV.• Je ne m'en sai venger fors au plorer, ib. VI.• Là plorerent pour eus maint prince et maint baron, Sax. XXII.• Ne jamais n'iert [ne sera] qui pes entre vus dous [le roi et l'archevêque] aturt, Ne jamais n'iert uns jurs saint iglise n'en plurt, Th. le mart. 36.• Tex [tel] rit au main [matin] au vespre plorera, Bat. d'Aleschans, v. 3029.XIIIe s.• Et sachiés que mainte larme i ot plourée au departir de lor pays, et de lors gens et de lor amis, VILLEH. XXX.• Et sa mere en commence de la joie à plourer, Berte III.• Cius [celui-là] est amés pour sa prouece, Et honorés pour sa largece, Cil ne pleure pas les despens, BAUDOUIN DE CONDÉ t. I, p. 240.XIVe s.• Plorer doivent li femme ; li homme avoir doleur Ne doivent qu'en leurs cuers, s'il n'ont en eulx foleur, Girart de Ross. v. 4127.• Simplement à parler, il ne plaist pas à tel homme de grant courage que les autres pleurent de ses infortunes, ORESME Eth. 290.XVe s.• S'elles n'ayment que pour argent, On ne les ayme que pour l'heure ; Rondement ayment toute gent, Et rient lors que bourse pleure, VILLON Ball..• Celluy est fol qui pleure ainçois [avant] qu'il soit battu, Perceforest, t. v, f° 47.XVIe s.• Je ne puis continuer plus longuement ce propos sans larmes, je dy les plus vrayes larmes que je pleuray jamais, DU BELLAY VIII, 33, recto..• Quand Timoleon pleure le meurtre qu'il avoit commis, il ne pleure pas le tyran, MONT. I, 272.• J'aimais à me parer quand j'estois cadet.... et me seoit bien ; il en est sur qui les belles robbes pleurent, MONT. IV, 7.• Il ne faut point pleurer de tout cecy que je vous conte ; car peut estre qu'il n'est pas vrai, DESPER. Contes, t. I, p. 5, dans POUGENS.• Assez peult plourer qui n'a qui l'appaise, COTGRAVE .• À coeur dolent l'oeil pleure, COTGRAVE .• Faites de vostre erreur maintenant penitence ; Mais, pour la bien pleurer, c'est trop peu que deux yeux, DESPORTES les Amours d'Hippolyte, Stances..Wallon, ploré ; génev. pleurer la nourriture à quelqu'un, la lui reprocher, la lui plaindre ; provenç. plorar ; espagn. llorar ; portug. chorar ; ital. plorare ; du lat. plorare, qui signifie verser abondamment des larmes, et que Curtius, n° 369, rattache à pluere, pleuvoir.
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. d'Émile Littré. 1872-1877.