ni

ni
(ni) conj. négative qui ne se dit jamais sans la particule négative ne précédant ou suivant, et qui est équivalente à et avec une négation.
   Ni répété devant chacun des termes qu'il s'agit de nier.
   La religion commande des choses difficiles, mais elle n'est ni affreuse, ni farouche, ni cruelle, BENSERADE dans GIRAULT-DUVIVIER.
   Elle n'a ni parents, ni support, ni richesse, MOL. Éc. des f. III, 5.
   Il goûta le repos d'un homme heureusement dégagé à qui ni l'Église, ni le monde, ni son prince, ni sa patrie, ni les particuliers, ni le public n'avaient plus rien à demander, BOSSUET le Tellier..
   Les enfants n'ont ni passé, ni avenir, et, ce qui ne nous arrive guère, ils jouissent du présent, LA BRUY. XI.
   La boussole n'a point été trouvée par un marin, ni le télescope par un astronome, ni le microscope par un physicien, ni l'imprimerie par un homme de lettres, ni la poudre à canon par un militaire, L. RACINE la Religion, ch. V, note 173.
   Je n'ai l'avantage d'être, pour ma consolation, ni le plus grand capitaine, ni le plus grand roi ni le plus grand et le plus vrai philosophe de ce siècle, ni le protecteur de l'Allemagne, ni le réformateur de la justice, ni enfin l'exemple des souverains et des gens de lettres, D'ALEMB. Lett. au roi de Pr. 15 sept. 1780.
   Ni le jour, ni les ténèbres, ni le bruit, ni le silence, rien ne peut mettre obstacle à l'esprit d'un homme qui sait penser, CONDILLAC Art de penser, 2e part. ch. 3.
   L'usage est de répéter ni à chaque terme, et les grammairiens en font une règle. Cependant cette règle n'est fondée sur aucune raison péremptoire ; et voici des exemples où elle n'a pas été observée.
   Que ferais-je à la cour, moi qui ne suis, seigneur, Hypocrite, jaloux, médisant, ni flatteur ?, BOURSAULT Ésope à la cour, V, 3.
   Je ne veux l'un ni l'autre, il n'est pas temps de feindre, VOLT. Rome sauv. II, 3.
(Ces exemples sont des vers ; mais on pourrait les imiter en prose.)
   Ni l'un ni l'autre, voy. un.
   Ni mis une seule fois ; en cet emploi on ne s'en sert guère qu'avec des substantifs sans article ou avec des noms propres. Honneurs ni richesses ne font le bonheur.
   Ils n'avaient tapis ni housse, Mais tous fort bon appétit, LA FONT. Fabl. V, 7.
   Dans ses meubles, dût-elle en avoir de l'ennui, Il ne faut écritoire, encre, papier, ni plumes, MOL. Éc. des f. III, 2.
   Quand je plaisais à tes yeux, J'étais content de ma vie, Et ne voyais rois ni dieux Dont le sort me fit envie, MOL. Am. magn. intermède III, sc. 7.
   Je ne connais Priam, Hélène ni Pâris : Je voulais votre fille, et ne pars qu'à ce prix, RAC. Iphig. IV, 6.
   Qui n'est bourgeois, abbé, robin ni militaire, PIR. Métr. I, 1.
   Ni est quelquefois suivi immédiatement de ne, lorsqu'il joint deux propositions négatives ; dans ce cas la proposition liée rejette la particule pas ou point.
   Jamais pécheur ne demanda un pardon plus humble, ni ne s'en crut plus indigne, BOSSUET le Tellier..
   Le prince n'a point d'autre but, ni n'en veut connaître, MONTESQ. Lett. pers. 127.
   Ni joint quelquefois deux propositions négatives, comme fait et.
   Si on n'aimait pas les justes, ni on ne les protégeait pas pour eux-mêmes, il les faudrait protéger pour le bien public, BOSSUET Méd. sur l'Évang. dern. serm. du Sauveur, 83e jour..
   Quand ni n'est pas répété, il peut se construire avec pas ou point.
   Est-il possible que ce même Sostrate qui n'a pas craint Brennus ni tous les Gaulois...., MOL. Am. magn. I, 1.
   Que la fortune ne tente donc pas de nous tirer du néant, ni de forcer la bassesse de notre nature, BOSSUET Duch. d'Orl..
   Ma maison ni mon lit ne sont point faits pour vous, BOILEAU Sat. X..
   Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme, Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme, BOILEAU Art p. I.
   Personne ne souhaitera jamais plus que moi que vous goûtiez des plaisirs, mais des plaisirs qui ne vous passionnent ni ne vous amollissent point, FÉN. Tél. VIII.
   Quand ni est répété, on ne met pas la particule point ou pas. On ne dit pas : Il ne faut pas être ni prodigue ni avare ; mais : Il ne faut être ni prodigue, ni avare. On ne dit pas : Ni la prudence ni l'humanité ne permettent pas une telle conduite ; mais : Ni la prudence ni l'humanité ne permettent une telle conduite.
   Toutefois les meilleurs écrivains se sont affranchis de cette règle ou plutôt de cet usage.
   Madame, mon amour n'emploiera pas pour moi Ni la loi du combat ni le vouloir du roi, CORN. Cid, V, 7.
   Ce n'est pas tout encore, et tu ne conçois pas Ni tout ce qu'est l'amour ni ce qu'il a d'appas, CORN. Imit. III, 5.
   Je ne décrirai point ni leur douleur amère, Ni les pleurs de Psyché, ni les cris de sa mère Qui du fond des rochers renvoyés dans les airs...., LA FONT. Psyché, I, p. 34.
   Cela n'est pas capable ni de convaincre mon esprit, ni d'ébranler mon âme, MOL. D. Juan, V, 2.
   Ni la prudence, ni la piété, ni la bonne théologie ne permettraient pas de décrier un concile qui a été universellement reçu, aussitôt que la doctrine en a été bien entendue, BOSSUET Mém. sur la bibl. ecclés. de Dupin..
   Ce n'est point ni un ennemi ni un étranger, c'est Judas, ce cher disciple, cet intime ami qui le trahit, BOSSUET 3e serm. pour le vendr. saint, II.
   La réponse ne pouvait pas être ni plus courte, ni plus certaine, ni plus décisive, ID. 2e instruct. past. sur les prom. de J. C. à l'Église.
   Une parole, une raillerie nous trouble, et nous ne considérons pas ni de quoi ni par qui nous nous laissons troubler, BOURD. 2e serm. pour le 2e dim. de l'avent..
   Je n'ai point exigé ni serments, ni promesses, BOILEAU Lutr. II.
   Des pièces que je ne voudrais point pour rien au monde ni avouer ni avoir faites, VOLT. Lett. Damilaville, 18 avril 1764.
   Celui qui n'a jamais réfléchi ne peut pas être ni clément, ni juste, ni pitoyable, J. J. ROUSS. De l'origine des langues, IX..
   Avec jamais on omet un des ni, mais aussi on le répète très bien. Je ne l'ai jamais vu, lui ni son frère.
   La justice ne fut jamais ni si éclairée, ni si secourable, BOSSUET le Tellier..
   Il en est du substantif personne comme de l'adverbe jamais.
   La nature n'avait donné à personne ni une âme plus élevée, ni un génie plus heureux, qu'à la fille de Théon, DIDER. Opin. des anc. phil. (éclectisme)..
   Lorsqu'il y a plusieurs verbes qui se suivent, le premier n'est point précédé de ni. Je ne veux, ni ne dois, ni ne puis obéir.
   Cependant cet usage n'est pas absolu.
   Un sot ni n'entre, ni ne sort, ni ne s'assied, ni ne se lève, ni ne se tait, ni n'est sur ses jambes, comme un homme d'esprit, LA BRUY. II.
10°   Ni liant non des mots, mais des propositions, peut se mettre en tête des propositions, surtout dans le style élevé.
   Ni sa main n'est point raccourcie, ni ses trésors ne sont point épuisés, BOSSUET Panég. de St Franç. d'Assise, I.
   Ni l'édifice n'est plus solide que le fondement, ni l'accident attaché à l'être, plus réel que l'être même, BOSSUET Duch. d'Orl..
11°   Ni s'est construit avec sans.
   Elle [la Brinvilliers] écouta son arrêt, dès le matin, sans frayeur ni sans faiblesse, SÉV. 22 juill. 1676.
   Mon équipage est venu jusqu'ici sans aucun malheur, ni sans aucune incommodité, SÉV. 27 juillet 1672.
   Aujourd'hui on mettrait et au lieu de ni.
12°   Après un que conjonctif que précède un verbe accompagné d'une négation, le membre de phrase qui suit doit toujours commencer par ni.
   Ne pense pas qu'au moment que je t'aime, Innocente à mes yeux, je m'approuve moi-même, Ni que du fol amour qui trouble ma raison Ma lâche complaisance ait nourri le poison, RAC. Phèdre, II, 5.
   Cet usage est souvent violé, sans aucune faute.
13°   Ni suivi de la préposition de et d'un nom pris partitivement.
   Elle ne peut causer ni d'enflure ni d'enfoncement, PASC. Équil. des liqueurs, VII.
   Qu'il lui coûtait moins d'exposer sa vie que de dissimuler ses sentiments, et qu'il n'achèterait jamais ni de faveur ni de fortune aux dépens de sa probité, FLÉCH. Duc de Mont..
14°   Ni se met quelquefois sans ne et sans verbe, et par la seule vertu d'une proposition sous-entendue. Comment la trouvez-vous ? Ni belle ni laide.
   Ayant pour maxime inviolable avec mes amis de me montrer à leurs yeux exactement tel que je suis, ni meilleur, ni pire, J. J. ROUSS. Confess. XI.
15°   Ni se dit quelquefois pour et en des phrases qui ont un sens négatif implicite.
   J'ai grande peine à croire ce que vous me dites de madame ***, ni qu'elle ait pris votre parti contre moi, VOIT. Lett. 58.
   Désespérant de réduire Babylone ni par force ni par famine, BOSSUET Hist. III, 4.
   J'ai peine à croire que MM. de Genève traduisent ni impriment mon livre, BOSSUET Lett. 80.
   Défendit qu'un vers faible y pût jamais entrer, Ni qu'un mot déjà mis osât s'y remontrer, BOILEAU Art p. II.
   Bientôt ils défendront de peindre la prudence, De donner à Thémis ni bandeau ni balance, BOILEAU ib. III.
   Gardez donc de donner, ainsi que dans Clélie, L'air ni l'esprit français à l'antique Italie, BOILEAU ib. III.
   Pelletier écrit mieux qu'Ablancourt ni Patru, BOILEAU Sat. IX..
   C'est cet emploi de ni qui rend correcte cette phrase : Il n'est pas possible ou il est impossible que ni le temps ni l'art apportent quelque amélioration à l'état de sa vue.
16°   Ni sans ne, archaïsme tombé en désuétude et qui est aujourd'hui considéré comme une faute.
   Elle n'ôte à pas un ni donne d'espérance, CORN. Cid, I, 1 (scène changée)..
   Une douceur que rien n'émeut ni aigrit, BOURDAL. Pensées, t. I, p. 90.
   Lorsque le père n'instituait ni exhérédait son fils, MONTESQ. Esp. XXVII.
17°   Ni pris substantivement.
   Ces deux ni avec point ne sont pas permis, VOLT. Comm. Corn..
[il s'agit de ces vers de Nicomède : Je vous avais prié de l'attaquer lui-même, Et de ne mêler point, surtout dans vos desseins, Ni le secours du roi, ni celui des Romains, III, 6].
   1. Ni la douceur ni la force n'y peut rien ou n'y peuvent rien : les deux se disent également, suivant qu'on a dans l'esprit la conjonction ou la disjonction des sujets.
   Ni mon grenier ni mon armoire Ne se remplit à babiller, LA FONT. Fabl. IV, 3.
   Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux, LA FONT. Phil. et Baucis..
   2. Ni fait hiatus dans les vers, et on ne le met pas devant une voyelle. Cependant Malherbe a dit :
   Ci-dessous gît monsieur l'abbé, Qui ne savait ni A ni B, MALH. édit.de MÉNAGE, p. 275.
   XIe s.
   Mur ne citet n'i est remes [resté] à fraindre [briser], Ch. de Rol. I.
   Ne n'ai tel gent qui la sue derompe, ib. II.
   XIIe s.
   Il s'en ala avant, ne dist ne ço ne quei, Th. le mart. 46.
   XIIIe s.
   Ne soiez vers les pauvres ne sure [aigre] ne amere, Berte, IV.
   Par un jour si très bel qu'il ne pleut ne ne vente, ib. x.
   Que ceens entre fame n'en hiver n'en esté, ib. XLV.
   XVe s.
   Adonc fut la dame moult esbahie, et requit tout en pleurant conseil à monseigneur Robert d'Artois quelle chose elle en pourroit faire, ni où se traire à garant ni à conseil, FROISS. I, I, 12.
   Ne suis roy ni prince aussy, Je suis le sire de Coucy, Devise des Coucy.
   Dictes-moy où n'en quel pays Est Flora... , VILLON Ballade des dames du temps jadis..
   Prince, n'enquerez de sepmaine, Où elles sont, ne de cest an, VILLON ib. Envoi..
   XVIe s.
   Il ne resteroit innocence aucune n'en dits n'en faits, s'il suffisoit d'accuser, CALV. Instit. Dédic..
   Il ne recognoist ni advoue pour son oeuvre les hommes vicieus et abastardis, CALV. ib. 49.
   Tu ne te feras point image taillée, ne semblance aucune des choses qui sont en haut au ciel, ne çà bas en la terre, ni es caux dessous la terre ; tu ne les adoreras ni honoreras, CALV. ib. 284.
   Il n'y a ni industrie ni labeur qui...., CALV. ib. 723.
   Où sont vos forces, ni apprets, pour leur faire teste ?, CARL. IV, 9.
   Il n'y gaigna rien ny pour soy ny pour les aultres, MONT. I, 4.
   Ny n'entendent les stoïciens que...., MONT. I, 50.
   Il n'y a ny statues ny trophées de marbre, ny arcs de triomphe, ny coulonnes, ny sepultures magnifiques, qui puissent combattre la durée d'une histoire eloquente, AMYOT Préf. III, 28.
   Celuy devant qui rien n'est ne futur ne passé, AMYOT ib. XII, 40.
   Les Atheniens les receurent à grande joye, ny plus ny moins que si c'eust esté Theseus luy mesme vivant, AMYOT Thésée, 45.
   Venus n'a point ny myrte ny laurier Digne de toy ny digne de ma teste, RONS. 48.
   Je ne sçay ny moyen, remede ny maniere De sortir de vos rets, où je vis en langueur, RONS. 240.
   Je ne puis ny toucher, gouster, n'ouyr, ny voir, RONS. 291.
   Mon appuy, mon Odet, que j'aime Mille fois plus ny que moy-mesme, Ny que mon coeur, ny que mes yeux, RONS. 472.
   Provenç. ne, ni ; anc. esp. ne ; esp. mod. ni ; port. nem ; ital. ne ; du lat. nec. L'ancien français est toujours ne ; on voit apparaître ni dans les écrits de Froissart ; puis dans le XVIe siècle ni s'introduit et entre en lutte avec ne, et souvent dans la même phrase on trouve les deux. Enfin dans le XVIIe siècle ne n'est plus qu'un archaïsme, aujourd'hui complétement tombé en désuétude, excepté quand on répète en plaisantant le ne plus ne moins du Malade imaginaire.
SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
NI. - REM. Ajoutez :
   3.
   Saint-Simon a dit : Le prince de Conti me conta qu'il n'avait jamais été si embarrassé, ni tant souffert de sa vie, SAINT-SIMON 78, 16.
On rendrait cette phrase plus usuelle en mettant : et n'avait tant souffert de sa vie. L'ellipse préférée par Saint-Simon est dure, mais non incorrecte.
   4. Remarquez cette tournure de Bossuet, très bonne d'ailleurs :
   Il [Jurieu] ne connaît guère ce que c'est ni que l'esprit ni que le coeur, BOSSUET 2e avert. 16.
   5. Ni suivi immédiatement de pas ou point.
   Qu'il soit le premier de sa race, et n'ait pas le liard en sa bourse, ni pas un valet après lui, MALH. Lexique, éd. L. Lalanne..
   Il faut qu'il n'y ait point de bien que la vertu, ni point de mal que le vice, MALH. ib..

Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré. . 1872-1877.

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